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TAHITI ET LE POPA' A

1988Tahiti001As tu été à Tahiti ? Je réponds oui. C'était le titre que j'avais donné à une page Tourisme pour «  la Voix du Nord » qui m‘employait. Car je suis parti là-bas, à des milliers de kilomètres, en reportage. IL s'agissait d'une invitation de l'Office de Promotion et d'Animation touristique de Tahiti et de ses îles ( OPATTI) afin d'enquêter sur les possibilités de développement de la petite hôtellerie locale.

Car elle était quasiment inexistante, à l'époque, en 1988. Les touristes fortunés qui n'hésitaient pas à dépenser plus de 6 000 f, rien que pour le transport en avion, qu'ils soient français, américains ou japonais, occupaient les hôtels 4 et 5 étoiles, type Beachcomber. Ils dédaignaient descendre dans les pensions polynésiennes. Il s'agissait de leur donner une chance. J'ai tenté de le faire. Mais je suis revenu comme «  mutilé du travail » - çà existe, je l'assure – car je me suis laissé surprendre par l'ardeur de messire Soleil. Sous les tropiques, il ne pardonne pas. J'ai souffert pendant plus d'un mois de brûlures sur le dessus des pieds et des jambes. Des brûlures au 2ème degré. IL faut donc que je vous raconte çà.

Le mythe du paradis perdu

De Tahiti, tout le monde en rêve. Rien que le nom évoque des lagons transparents bordés de cocotiers, des mélopées lancinantes égrénées par des « ukuleles » et chantées par des vahinés aux paréos éclatants, une végétation riche et luxuriante sous un soleil et un ciel bleu permanents.

Effectivement, le mythe de paradis perdu, découvert et chanté par les premiers explorateurs comme Cook et Bougainville. En apercevant Tahiti et les îles de la Société, ils étaient persuadés d' accéder au Paradis Terrestre. Plus tard, Victor Segalen, Pierre Loti et Jack London, eux aussi, inspirés, prirent le relais. C'était le pays d'utopie habité par de bons sauvages.

La réalité ? J'ai voulu parler de Tahiti sans les clichés habituels. Mais ce n'est guère possible. Il est vrai que ces îles qui ont nom «  Sous le Vent » apparaissent d'une fantastique beauté : celle des archipels volcaniques qui se reflètent dans une eau bleue turquoise, celle des barrières rocheuses qui surgissent de la mer et se hissent en forme de cône jusqu'à une couronne de nuages.

Ou ces atolls formés d'un immense anneau de corail enserrant d'immenses piscines aux eaux tièdes. Là les atolls ont trouvé avec les noix de coco des alliés obstinés. Les cocotiers, les uns après les autres, ont pris pied et colonisé ces îles.

Car la Polynésie Française est composé de 118 îles, la plupart d'origine volcanique et regroupées en cinq archipels : la Société, les Marquises, Tuamotou, les Australes et Gambier. Ils s'étalent sur l'océan, dans une sorte de quadrilatère délimité, à l'échelle de l'Europe, de Brest à la Roumanie, et d'Oslo à la Sicile.

On imagine les sauts de puce qu'il faut faire pour aller d'une île à l'autre. Souvent par avion, pour les touristes pressés de tout voir en une semaine. Par bateau aux horaires fantaisistes . J'en parlerai plus loin car j'ai essayé le «  Taparo IV » qui avait mis les voiles bien plus tôt que l'horaire officiel. Il paraît que le capitaine avait une vahiné à embrasser dans une autre île. Il lui tardait d'arriver. C'est çà aussi la Polynésie française.

Dans la queue du typhon

1988Tahiti003Revenons au début. Départ par un avion de la compagnie UTA, à Roissy Charles de Gaulle ( compagnie hélas disparue) avec escale à San Francisco d'abord après 12 heures de vol et ensuite à Los Angeles pour prendre au passage des touristes US. A chaque escale, défense de s'aventurer dans l'aéroport. On parque les voyageurs français dans une salle tristounette, éclairée par des néons blafards. J'avais un visa permanent pour l'entrée des Etats-Unis. Le cerbère empêche la sortie. Je n'avais qu'à emprunter un appareil d'une compagnie américaine.

14 heures de vol sur l'immensité du Pacifique Sud et arrivée au petit matin sur la piste de Faa'a, l'aérodrome de Tahiti, après 26 heures de voyage. Je suis vanné.

D'habitude le lagon, autour de l'île, est bleu et vert comme sur les cartes postales. Cette fois nous sommes tombés avec la queue du cyclone CILLA qui effleure les îles de la Société. Le ciel est d'un gris sale. La pluie tombe à seaux . Le vent souffle, par rafales de 80 km/heure, une haleine chaude et humide qui sent à la fois le frangipanier et le remugle d'égoûts.

Pas de veine. Heureusement de charmantes filles des îles, débout, à 6 heures du matin, nous coiffent de colliers de fleurs tandis que des musiciens grattent frénétiquement de la guitare locale. Derrière nous – je dis , nous car le groupe de journalistes comptait six autres confrères et consoeurs de journaux de province – déboule une horde de Japonais venus par un charter qui s'est posé juste derrière notre avion. Ils sont 310. Tous et toutes recevront les traditionnelles parures de fleurs tressées.

Il faut s'incliner : l'accueil à l'arrivée en Polynésie Française s'avère remarquable. Ces Japonais sont attendus comme le Messie. Ils sont les premiers pélerins d'une immense procession que l'Office de Tourisme et les hôteliers locaux appellent de leurs prières depuis des lustres. Une forte propagande a été mise en place pour les attirer. Car les Américains, pour une raison que j'ignore, commencent à bouder les lagons bleus du Pacifique Sud. De plus le Japon est le pays le plus proche de Tahiti ( 8 heures de vol) et il est peuplé de gens fortunés.

Soleil Levant contre trombes d'eau pour un voyage inaugural : manque de pot pour le tourisme promotionnel de l'OPATTI.

De l'aéroport au centre de Papeete, le bus progresse dans des giclées d'eau rougeâtre, de boues arrachées aux parois de la montagne proche. On ne voit pas à trois mètres tant l'averse est drue. En ville les égouts vomissent à qui mieux mieux et les habitants marchent, à demi courbés, pour résister au vent, protégés par des plastiques de sac poubelle qu'ils ont troués pour passer la tête. Cà promet !

Un saut jusqu'à Moorea

1988Tahiti002Samedi et dimanche : deux jours sans mettre le nez dehors. Toujours les averses diluviennes qui brouillent le paysage sublime qu'on devine depuis les fenêtres fermées de l'hôtel «  Moana Iti ». On va finir par devenir enragés. Le responsable du Tourisme décide de partir pour l'île sœur, Moorea, à quelques milles de là.

Plus de bateau : les goélettes du service régulier n'affrontent pas les énormes rouleaux du Pacifique qui s'écrasent sur la jetée. Des bateaux de plaisance ont rompu leurs amarres. Pas d'avion non plus : la météo est défavorable, annonce le chef de Faa'a.

Six heures d'attente, c'est vexant quand on sait que le temps nous est compté et qu'on va devoir se priver de visites agréables. Nous ne savons pas ce que sont devenus les Japonais. Ils doivent se rattraper sur le saké, s'ils en ont emporté ou sur la «  Hinano », la bière locale dont les boîtes vides jonchent le sol un peu partout. Il y a pourtant des poubelles. Mais les Tahitiens ne doivent pas être très adroits pour viser juste. Ou le vent les empêche de lever le bras assez fort pour arriver au but !

C'est pas vrai : on annonce qu'un petit appareil va décoller pour emmener huit passagers. Nous sommes six journalistes français plus Irina, notre accompagnatrice de Paris, dont je parlerai plus loin. C'est décidé : on part pour Moorea.

On grimpe dans l'avion, genre Beechcraft Duke. Le pilote, un grand blond à peine hâlé, parvient à prendre de la hauteur et à se faufiler entre les nuées et les orages en jouant comme sur un Grand Huit. Il est parfait cet homme. Au sol, à Moorea, le cœur au bord des lèvres, je le félicite :

-- Bravo, pour votre navigation. On voit que vous avez l'expérience des cyclones tropicaux..

-- Pas du tout . Ne croyez pas çà. Je suis le nouveau pilote de cette toute nouvelle compagnie. Je suis arrivé ici, il y a une semaine. Voler, ici, ce n'est pas du gâteau.

Nous avons tous blêmi, même Irina qui avait une peau dorée comme un brugnon. Nous sommes restés deux jours dans ce coin enchanteur, considéré comme l'une des plus ravissantes des îles du Vent – et il n'arrêtait pas de souffler le bougre -.

Il y a bien eu une accalmie. Certains ont accepté d'embarquer sur une pirogue à moteur pour découvrir des dauphins qui avaient franchi la passe et sautaient par dessus les récifs. Ils cherchaient, sans doute, à happer les gouttes d'eau douce de la pluie, moins salée que celle du lagon. Ils s'amusaient comme de petits fous dans les rouleaux, paraît-il . Les veinards. Je suis resté sur le sable à regarder la cavalcade des nuages. C'était saisissant mais j'aurais préféré, au bonheur des îles, contempler le mythe de l'éternel azur qu'on m'avait promis.

Bora-Bora, la perle du Pacifique.

1988Tahiti005Nous reprenons l'avion – un autre, de la compagnie Air Tahiti, une ligne régulière cette fois 1870 f –pour arriver à Bora-Bora dans son enceinte de corail parfaite. La perle du Pacifique : ce n'est pas volé. Voici le soleil retrouvé entre de gros nuages blancs qui emplument la forteresse basaltique du Mont OTEMANU.

Merveilleux paysage avec ce lagon d'un azur irréel, protégé des remous du Pacifique, toujours en colère, par une passe unique.

De l'aéroport à l'hôtel, il faut emprunter une vedette. Une grande barque plutôt, qui peut recevoir une dizaine de passagers. Ils sont protégés de l'ardeur du soleil par une toile tendue, qui dispense un peu d'ombre.

A la barre, le patron de l'hôtel – petit hôtel bien sûr puisque c'est pour les mettre en valeur que nous sommes là – un Marseillais, petit cousin de César ou neveu de Raimu comme on voudra . Il nous raconte des tas d'histoires, tient à nous faire visiter les motus – de petits îlots à ras de l'eau dans ce grand lac salé qu'est le lagon. –

La visite se prolonge. J'ai enlevé mes chaussures et mes chaussettes et retroussé le pantalon car de l'eau , tiède il est vrai puisqu'elle est à 26°, court sur le plancher de la vedette, entre et sort par les trous des écoutilles.

Le patron parle toujours, des cinéastes qui ont pris Bora Bora pour décor de leurs films, de Marlon Brando qui a acheté, au début de 1960, une île pas loin d'ici, qui s'appelle Tetiaroa, un endroit paradisiaque dépendant de la commune d'Arue. Personne n'y met jamais les pieds. Ce sanctuaire sous-marin est respecté, dit-il , car les gardes n'hésitent pas à tirer , à coups de fusil, les chasseurs trop hardis qui s'approchent avec leurs harpons. Bigre !

A midi, le patron très bavard, nous débarque sur un autre îlot pour un pique-nique improvisé. Le dessus des pieds me brûle.

-- C'est l'eau du lagon, me dis-je. Elle doit être très salée. Pas possible.

La gêne devient souffrance, et monte dans les mollets qui étaient également découverts. Au débarcadère de l'hôtel, dans l'après-midi, je ne peux plus marcher tellement j'ai mal. Les pieds ont doublé de volume et ressemblent à des homards cuits au court-bouillon. Adieu, décors sublimes et effluves des frangipaniers.

Le soir, des énormes ampoules gonflent la peau. Il me faut consulter un médecin. A Vaitape, celui-ci est formel : brûlures au second degré.

-- Vous auriez dû vous protéger avec de la crème indice 25. Ici les morsures du soleil ne pardonnent pas ! Plus question de vous chausser durant 15 jours. Et pansements deux fois par jour avec ce baume. Sinon , vous terminez à l'hôpital. C'est gai !

Raiatea, l'île sacrée

1988Tahiti006Pas question d'hôpital quand on peut vivre encore huit jours dans le plus somptueux décor du monde.. Puisqu'il n'est plus question de chaussures, je continuerai à pieds nus, ou plutôt enveloppés de bandes Velpeau. Mais quel supplice. !

La danse sacrée des Tahitiens qui s'appelle UMU TI sur des roches volcaniques, allumées depuis plusieurs heures, ne doit pas être plus terrible. Mais il s'agit d'un véritable mystère car ils ne souffrent pas de cette marche sur le feu qui présente un caractère ésotérique. Comme je n'ai pas assisté à ce genre de spectacle tribal, je ne peux rien affirmer. Il paraît que ces hommes oublient leurs brûlures car ils ingurgitent auparavant une boisson aux effets narcotiques qui s'appelle ORO ‘A' KAVA. Je n'ai pas eu l'occasion d'en boire, hélas, pour mes pieds.

Raiatea, dans les archipels des Iles sous le Vent est un territoire sacré. Les tatoueurs sont nombreux lors des cérémonies culturelles ou religieuses. Tatouage vient du terme «  tatoo » mot polynésien qui désigne des marques cutanées indélébiles. Hommes et femmes du monde entier s'en sont emparés pour en faire un usage immodéré sur leur propre corps. Pensent-ils être plus séduisants pour autant ?

Raiatea , pôle politique de la Polynésie ancienne, fut le centre du monde maori durant des siècles. Ici se trouve le seul lycée professionnel des T O M du Pacifique Sud. Il est jumelé avec un lycée professionnel de la région de Valenciennes. Sachant que je partais là-bas, mon collègue de «  la Voix du Nord «  m'avait demandé d'y passer pour prendre quelques photos .

L'avion faisant escale à Raiatea, je descendis sur le petit aéroport, laissant mes confrères poursuivre leur circuit vers l'autre île proche Huahiné. Je les rejoindrai par le prochain bateau.

Le proviseur du lycée de Raiatea , originaire d'Orléans, était un homme charmant. Quand il m'aperçut avec mes pieds bandés, il s'écria :

-- Mais vous avez été victime des TUPAPAU ! ( prononcer tupapahou). Ce sont les mauvais génies de cette région que craignent beaucoup les Tahitiens. D'abord, venez avec moi chez le pharmacien pour changer vos pansements. Ensuite vous viendrez visiter mon établissement.

Le pharmacien découvrit mes brûlures avec stupéfaction.

-- Elles sont de taille, me dit-il. La seule fois où j'en vu de pareilles c'est quand un scandinave a cru bien faire en se mettant nu sur la plage pour une séance de trois heures de bronzette. ON l'a rapatrié à grande vitesse dans un centre de grands brûlés en Australie.

Bon les mauvais esprits vont bien me lâcher, non ? Pas du tout. Car après la visite du lycée professionnel, Monsieur le Proviseur me raccompagne au port pour prendre le bateau, le fameux Taparo IV qui fait le cabotage entre les îles. Le départ est prévu pour 17 h. Mais lorsque nous arrivons, il avait mis les voiles 90 minutes plus tôt . Je suis atterré et le proviseur aussi.

-- C'est çà la Polynésie. IL n'y a pas d'horaires, me dit-il, navré. Ici, on vit à la fantaisie. On ne peut pas compter sur personne. En plus, quand les Tahitiens ont le «  fiu », c'est le bouquet.

-- C'est quoi, le fiu ?

-- C'est une sorte de mélancolie qui s'empare d'eux et leur ôte toute envie de travailler ou d'entreprendre quelque chose. Ils rêvassent en regardant les fleurs s'épanouir ou les vaguelettes mourir sur le sable. C'est tout ce qu'ils peuvent faire et çà peut durer un jour ou deux, parfois une semaine.

Un pêcheur en paréo m'explique en riant :

-- Le capitaine était pressé. Il avait une vahiné à voir dans l'autre île et c'est pourquoi il est parti en croquant la consigne. Le bateau reviendra dans une semaine avec départ dans la matinée.

Ca ne m'arrange pas du tout. Je dois rejoindre mes confrères et consoeurs dans les plus brefs délais. Le calendrier de nos déplacements est très strict.

Le proviseur trouve une solution :

-- Il y a un médecin de ma connaissance qui possède un petit avion de tourisme. IL pourrait peut-être vous conduire à Huahiné.

De fait, le médecin, à la vue de mes pansements et qui n'a sans doute pas grand chose à faire, consent à me prendre comme passager et contre rétribution, bien sûr.

-- Je vous préviens. IL est 17 heures et dans une heure il fait noir . Je ne peux voler dans l'obscurité car je n'ai pas les instruments. Je vous dépose sur le terrain d'Huahiné et je reviens aussitôt.

L'avion Cessna décolle dans les feux du couchant. Le mal qui me dévore les jambes, j'arrive à l'oublier. Au ras des flots nous volons. La magie opère en un éblouissement violent. Existe t-il des teintes pour décrire l'azur de l'eau sous les ailes :jade, turquoise, bleu roi, saphir, lapis-lazuli, émeraude ; cobalt, ultramarine.

Trente minutes de vol. Le médecin me dépose, à la nuit tombante, sur le gazon de l'aéroport de Huahiné, fait demi tour et repart sans couper les gaz. Adieu, docteur et merci !

Je me retrouve, seul, dans l'obscurité totale. Rien, ni personne dans le petit bâtiment qui sert de relais-méteo et de tour de contrôle. Je suis au bout du monde, sans bagages – ils sont restés avec le groupe – sur une pelouse déserte, les pieds en feu et l'appareil photo autour du cou.

Je n'ai qu'un désir : retrouver mes confrères basés au Relais Manaha, à l'autre extrémité de l'île c'est à dire à une trentaine de kilomètres. Mais pour l'instant, je ne peux que m'allonger dans l'herbe et attendre . Attendre quoi ? Que celui qui n'a jamais connu le désespoir me jette le premier corail.

1988Tahiti007Dans le plus enivrant décor qu'on puisse rêver – quand il fait jour car dans le noir on ne voit rien - j'attends la suite de l'aventure et me promet de ne jamais plus la tenter sans prendre de garanties.

Quand une heure plus tard, une lumière surgit au loin : les phares d'une voiture. Elle s'arrête au pied de la tour de contrôle. UN homme en descend. Je cours le plus vite que je peux sur mes panards dont les cloques repoussent les pansements car elles sont grosses comme des mandarines.

Un Polynésie, l'employé local de l'aviation civile, me regarde, étonné en voyant ma mine défaite :

-- C'est pour une évacuation sanitaire que tu viens ici ? Tu as de la chance de me rencontrer . J'ai oublié de prendre les observations météo et c'est pour çà que je suis revenu.

Je l'aurais embrassé tellement j'étais content. Il m'a permis de téléphoner au Relais Manaha. Le patron n'a pas hésité à faire les 60 km aller et retour pour venir me chercher. Sa femme m'a refait les pansements. Irina m'a grondé :

-- Tu sais que tu m'as fait une belle peur. Je te croyais perdu. Je suis responsable du groupe de journalistes pendant tout le séjour en Polynésie. J'aurais eu belle mine si il manquait quelqu'un au retour.

Avec ses paupières marquées de mauve et ses prunelles d'un bleu d'acier, Irina ( le prénom a été modifié) a les plus beaux yeux du monde. C'eût été dommage de les faire pleurer.

Huahiné, lieu enchanteur

Huahiné restera pour moi le plus enchanteur des lieux du Pacifique Sud, la plus belle île du monde, celle où j'ai retrouvé le groupe et la vie, une vie qui semble d'ailleurs s'être arrêtée, depuis des décennies, à Faré, petit bourg qui ressemble à une cité du Far-West.

1988Tahiti008Petites maisons de bois aux murs peints en blanc cassé, toits de tôles ondulées, fils électriques qui traînent presque à terre, boutiques de commerçants chinois, qui croulent sous une montagne de marchandises les plus hétéroclites, rues tapissées de sable corallien que le vent soulève en tourbillons. Ne manquent que les carrioles des pionniers du siècle dernier et les cavaliers Sioux descendant de la montagne.

Les patrons du Relais Manaha sont Bordelais et d'une gentillesse extrême. Ils me soignent car j'ai l'apparence d'un grand blessé de guerre avec mes pansements qui montent jusqu'aux genoux. Bien sûr, je ne peux accompagner mes amis journalistes qui se baignent, des heures entières et qui font de la plongée sous-marine.

Moi, j'ai le droit à une barque à fond de verre qui s'éloigne du rivage dès le matin. Des heures durant je contemple les fonds sous-marins et le fantastique ballet des bancs de bénitiers, de poissons perroquets ou papillons, des balistes et des aiguillettes sans oublier, parfois, les raies mantas à l'allure majestueuse quand elles battent lentement l'onde de leurs immenses ailes.

Ce grouillement coloré est proprement fantastique.

Huahiné c'est aussi l'infinie douceur des effluves du frangipanier dans des décors sublimes. Personne n'en revient indemne, moi, le premier.

Nous avons aussi découvert les «  tikis », statues de pierre volcanique, inspirées des traditions culturelles des Marquises et qui se sont diffusées ensuite dans toutes les îles de la Polynésie. Certains sont sacrés et hantent les «  marae », autant de lieux de culte que des esplanades réservées aux nobles.. Jadis de nombreux interdits y étaient concentrés et leur transgression pouvait valoir la mort.

Dernière escale avant le retour sur Papeete : l'atoll de Rangiroa dans les Tuamotou.

Le rêve tahitien

1988Tahiti004Ici, pas de langues de lave pointues qui s'arrachent de l'eau bleue, mais une confetti presque dérisoire au ras de l'Océan Pacifique . Rangiroa est un atoll à une heure de vol de Tahiti. IL fait 230 km de circonférence et enferme dans une ceinture de cocotiers et de palmiers un lagon fantastique qui pourrait à lui tout seul contenir toute l'île et la presqu'île. Ce n'est que du sable blanc et à portée de regard une ceinture de corail sur laquelle viennent mourir les brisants.

Trois anciens responsables du Club Med ont installé, en 1972, vingt cinq bungalows de style polynésien près d'un bar sur pilotis au-dessus du lagon.

Cela s'appelle Kia Ora Village et c'est d'un calme absolu. Pas de musique tonitruante mais la sérénité totale entrecoupée de sorties en mer avec planches à voile ou dériveurs. Les plongées sous-marines se font, évidemment, dans les eaux tièdes du lagon.

Dois-je ajouter que nous avons bien profité de ce mythe de l'éternel azur d'autant que le village recelait également des sirènes au charme irrésistible. Un photographe de mode avait choisi Kia Ora Village pour des prises de vue et s'était fait accompagner de mannequins de différentes nationalités, qui n'avaient en commun que la beauté et le pouvoir de fascination.

Je dois dire aussi que nous n'avons pas vu beaucoup Irina en notre compagnie, durant ces trois jours, car elle venait de retrouver un petit ami, moniteur de voile. Ce dernier l'a emmenée sous les alizés, à longueur de journée, et, tous deux, ont sûrement plus exploré le septième ciel que les fonds sous-marins.

Bon, il n'y a pas à être jaloux. Chacun trouve son bonheur où il peut. Ce que je cherchais, personnellement, c'était d'adoucir mes douleurs à grand renfort de baume et d'huile de coprah «  Hei Poa » qui sent si bon le tiaré et le frangipanier.

Mais, pour terminer, que signifie le mot «  Popa'a » inscrit dans le titre de ce récit de voyage ? Il s'agit d'un terme polynésien qui désigne un Européen ou un Américain, victimes d'un coup de soleil lors de la traversée en bateau, au XIX° siècle. Ils arrivaient la peau brûlée et le visage marqué par les embruns. Les Tahitiens se moquaient d'eux, très gentiment.

A noter aussi qu'on appelle, ici, «  demis «  non pas un verre de bière de 25 centilitres, mais quelqu'un de respectable issu du croisement d'une femme de souche et d'un homme d'ailleurs. Il n'existe pas de racisme en Polynésie. Métis de Blanc, de Jaune ou de toute autre origine, ces « demis », garçons et filles sont tous très beaux, dans la gamme des brunissages les plus réussis de la Côte d'Azur.

A Tahiti, le mélange des races a engendré d'étranges séductions pareilles à celles des paysages enchanteurs que je ne suis pas près d'oublier.