Mise en jambes |
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Vendredi 8 maiChère Mimi, Ah ! ce que çà fait du bien de vivre trois jours de liberté . J'ai profité du congé du 1er mai pour me dérouiller les jambes. J'ai sauté sur mon vélo pneus demi-ballon et carrossé en cyclotouriste pour filer sur Bray Dunes à une centaine de kilomètres de ma maison.
Le soleil, radieux, se hissait au-dessus du hangar quand j'ai enfourché mon destrier, pignons graissés et lourd bagage arrimé. Je me sentais plein d'ardeur .La route est plate depuis Lille jusqu'au mont Cassel. Mais de petites côtes bossellent le parcours. A Au pied du mont, qui fait tout juste J'ai bu mon bidon de thé sucré - c'est une recette de champion cycliste- et je suis reparti avec un meilleur moral pour la dernière partie de mon voyage. Seulement voilà comme j'approchais de la mer, la brise soufflant souvent de la mer vers la terre, j'essuyais un terrible vent de face. Je roulais couché sur mon guidon et je n'avançais pas. Je décidai de quitter la route nationale pour prendre des chemins de traverse qui courent dans les Moeres et couper plus vite vers Bray-Dunes. Les pneus qui crissaient sur le gravier faisaient un drôle de petite musique en me donnant l'envie de rouler plus vite, toujours plus vite. Sur le coup de midi je m'effondrais sur une chaise à la terrasse d'un café-dineurs " le Phare " littéralement vidé. La station balnéaire l'était aussi. Bray-Dunes a beaucoup souffert, tu le sais, des derniers combats de la poche de Dunkerque en mai 1940. La plupart des villas ont été réduites en gravats et les rares commerces qui viennent de rouvrir leurs portes sont des baraquements en planches, hâtivement rafistolés. Seul " le Phare " est encore debout, en briques. De la terrasse ; on peut voir , dans la mer du Nord toute proche, des carcasses de bateau qui rouillent et s'enfoncent dans le sable, au gré des marées. Ce n'est pas bien gai ! Mais j'avais envie de revoir la mer et çà me change de mon horizon quotidien, fait de balles de coton et de rouleaux de tissus bleu hydrone revenus des teintureries. Je ne maudirais jamais assez ce boulot de cloporte besogneux des Ets Masurel et Cie. Raconter par le détail mes occupations durant ces trois jours de détente me parait difficile puisque je n'ai rien fait, sinon me vautrer dans le sable blond, près de la tente que j'ai dressée au pied des dunes. Je ne m'aventure pas au-delà car partout des panneaux " Achtung Minen " ou " Danger de mort " préviennent des périls de s'aventurer dans les oyats truffés d'engins explosifs. Des heures durant j'ai contemplé la mer, cette grande flaque bleue, verte ou émeraude, parfois saphir selon l'état du ciel, moutonnant jusqu'à l'infini. Ca donne une petite idée de notre condition humaine et de l'éternité. J'espère que ces trois jours t'ont permis de te remettre des fatigues de ce mois d'avril. Encore un effort et le jour du concours de l'Armée tu franchis la ligne d'arrivée en vainqueur. Ce que je te souhaite de tout coeur. Bises. Pierre
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