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TRIBULATIONS EN ESPAGNE SUR 50 ANS

50ansEspagne001Je n’ai jamais eu beaucoup de chance lors de mes pérégrinations en terre ibérique. Dans ma jeunesse, de l’Espagne, j’en avais beaucoup entendu parler. Dramatiquement.

 Car la guerre civile a marqué , dès 1936, mon imagination. Le poste de TSF de l’époque – un Tecalémit - ne cessait de déverser les nouvelles tragiques .

 C’était une guerre sauvage où les atrocités des rouges, qui fusillaient les prêtres et violaient les religieuses succédaient aux implacables exécutions des troupes de Franco et aux bombardements sur les populations civiles comme à Guernica.

Il paraît que cette lutte qui dura trois ans fit près d’un million de morts. Le pays tout entier s’enfonça dans une sorte de paralysie économique, la population étant muselée par une dictature féroce qui se prolongea jusqu’à la mort du général Franco, le 20 novembre 1975.

40 ans d’Inquisition et d’obscurantisme religieux : çà marque un peuple et une nation.

Escale surprise

La première fois où je mis le pied sur la terre ibérique ce fut en mars 1952. Je rentrai du service militaire, après 18 mois passés au Maroc. Par un curieux hasard, l’armée décida de me rapatrier par voie aérienne. Ce qui était, pour un appelé lamda, de retour dans la vie civile, assez exceptionnel.

Embarqué sur l’aéroport de Rabat-Salé, je me trouvais dans un DC 3 assez vieillot, qui, très vite, donna des signes de fatigue. Comme j’étais assis au niveau de l’aile gauche, je voyais distinctement l’huile sortir de rivets, bouillonner un instant avant de s’évaporer dans l’azur.

N’étant pas spécialiste aéronautique cela ne m’a pas trop impressionné mais je sentais passer dans les sièges derrière moi une certaine émotion. Passé le détroit de Gibraltar, l’équipage décida de se poser en douceur sur le plus proche terrain. Ce fut Valence.

Il faisait un temps merveilleux. Pendant les réparations, nous eûmes la chance de passer quelques heures dans une salle d’attente où un comptoir croulait sous des pyramides d’oranges. Je n’avais pas de pesetas mais on accepta mon argent marocain, ce qui eut le don de m’étonner. L’Espagne était très pauvre à l’époque et faisait flèche de tout bois. Je repartis avec une douzaine d’oranges succulentes.

Trois heures plus tard, le DC 3 se posait sur le terrain de Blagnac-Toulouse sans encombre. Je n’avais même pas eu peur.

 Mais je n’avais pratiquement rien approché de l’Espagne sinon des « alguazils » avec des drôles de chapeaux biscornus de carton-pâte vernissé. Des soldats avec un calot à pompon qui leur tombe sur les yeux , emberlificotés dans une capote informe. Et des quidams qui nous regardaient d’un œil étonné. Les Français n’avaient pas encore investi la Costa Blanca et la Costa Brava. Il n’y avait guère de touristes en Espagne à l’époque.

J’ai vu aussi un troupeau de gosses dépenaillées, maigres, tondus à ras, qui regardaient de loin, notre grand oiseau brillant aux couleurs françaises. Ils demeurèrent perchés sur des balustrades tout le temps de notre escale. Ils devaient nous envier, nous qui avions l’air de gens bien nourris et bien dans leur peau.  Ils devaient être terriblement malheureux. Ce fut un bref souvenir qui resta dans mon esprit.

Première escapade en 1953

J’avais 22 ans et je rêvais de parcourir le monde plutôt que de suivre, banalement, à Lille ,l’actualité locale au titre de journaliste, titulaire de la carte N°11 908. Je ne sais plus à la suite de quelle circonstance, j’entendis parler d’un jeune homme qui désirait rallier Paris à Pékin, en moto. Il se nommait André Ras et demeurait chez ses parents ,  à Sils, près de Gérone, en Espagne.

En septembre 1953, je disposais de quinze jours de congés d’été. Je décidais de le rejoindre pour mettre au point notre escapade de 5 000 km et surtout de trouver le moyen d’acheter les deux motos.

Je n’avais que 150 f pour tout viatique ( je donnais l’intégralité de mon salaire à mes parents qui avaient 6 enfants à nourrir) et le moyen le plus économique était encore de faire l’auto-stop. C’était une formule qui marchait encore de façon satisfaisante en France.

Premier véhicule : un camion immatriculé en Côte d’Or qui emmenait de la messagerie d’une entreprise de Lambersart. Le chauffeur était sympa mais pas les pneus.

 A Laon, la roue arrière jumelée rendit l’âme. Il fallut trouver un pneu de rechange. Dans l’Aube, même topo. Mais c’était une autre roue. Il paraît que les chambres à air ne correspondaient pas au diamètre des pneus. Y avait –il encore des restrictions sur le caoutchouc à l’époque ?  Je ne sais pas.

Toujours est-il que parti de Lille le vendredi en début d’après-midi, je parvins à Dijon que le dimanche. 48 heures de trajet et pratiquement deux nuits blanches. Ca commençait grave, comme on dit maintenant. Mon chauffeur avait gardé le moral et s’était coltiné des roues de 80 kilos à démonter et à remonter. Moi, j’étais déjà sur les genoux.

Jour de chance

Le parcours Dijon-Lyon se fit rapidement en voiture particulière. Je ne me souviens plus du tout du type du véhicule. J’étais complètement sonné, brisé de fatigue.

 Je pris un bus pour sortir de la capitale des Gaules et atteindre Vienne. Je m’écroulai dans le premier hôtel venu – un pas trop cher quand même – et dormis douze heures d’affilée.

Ce lundi était jour de chance. J’avais à peine levé le bras sur la RN 7, la route des vacances, qu’une 15 CV Citroën, la fameuse traction avant des gangsters de l’époque, stoppait à ma hauteur.

C’était le représentant général des Eaux Perrier, ( l’eau qui fait «  Pschitt ! ») Il filait sur Vergèze, à côté de Nîmes, pour un Conseil d’Administration de première importance. C’est ce qu’il me confia pendant le trajet en roulant à 100 à l’heure et en faisant de grands gestes qui lui faisaient lâcher le volant.

J’avais beaucoup plus peur que dans l’avion qui me ramenait du Maroc. Mais je n’avais rien à dire sinon qu’à écouter en serrant les fesses. Le soir de ce lundi, je me trouvais à Montpellier.

La chance, toujours. A la sortie de la ville, trois hommes contrôlaient des camions. C’étaient des gens du fisc à ce que j’ai cru comprendre. Ou des douanes. Ils étaient en civil. Ils acceptèrent mon petit discours. Le chauffeur d’un camion qui descendait sur Perpignan fut réquisitionné, illico. A minuit, je réveillai un gardien de l’hôtel «  Le Miranda » pour passer un sommeil réparateur.

J’avais parcouru la distance Lyon-Perpignan en quelque douze heures alors qu’il m’en avait fallu quatre fois plus pour faire Lille-Dijon. Les hasards de l’auto-stop. J’avais dépensé, hélas, les ¾ des mes 150 f du départ. A moins de faire la manche, je me demandais, déjà, comment refaire la santé de mon porte-monnaie.

Dans la patrie de Cervantès

50ansEspagne002Comme le fameux don Quichotte, j’étais quelque peu inconscient. On ne voyage pas du nord au sud sans avoir un viatique conséquent. Anxieux de nature j’étais parti, avec un sac marin pour tout bagage et pratiquement rien dans les poches. Je croyais encore aux miracles . Et aux châteaux en Espagne, c’est bien connu.

Me voilà au Perthus, à la frontière. Depuis le passage d’Hannibal, (que je n’ai pas rencontré puisqu’il est passé en 218 avant J.C) ce couloir étroit à l’est des Pyrénées n’a cessé de connaître le flux et le reflux des hordes, des armées , des réfugiés de la guerre civile en 1939.

Je présente mon passeport au douanier français qui me regarde d’un  œil ahuri. Les routards n’existaient pas en 1953. Ou du moins ils ne descendaient pas du nord au sud de l’Europe.

Ils partaient plus discrètement vers Katmandou.  Je n’avais qu’un sac et des vêtements quelque peu froissés par les mauvaises heures vécues dans le camion aux chambres à air déficientes, sur le parcours Lille-Dijon.

--  Où allez-vous comme çà ?

-- Retrouver un copain de régiment pas loin de Barcelone.

Je mentais mais ce n’était pas la première fois.

-- Alors, bonne chance, me dit-il en me rendant le passeport.

Il ne passait pas un chat à cette douane du Perthus. 200 mètres plus loin que je fis à pied, la guardia civile et la douane m’attendaient. J’étais leur unique client. Cà s’annonçait mal.

-- Buenos dias, dis-je en présentant mes papiers.

Je ne savais que dix mots d’espagnol. J’avais fait allemand en seconde langue mais je m’étais amusé à suivre deux de mes condisciples dans cette langue qui sonnait si bien à l’oreille.

- Su pasaporte, por favor.

Ils m’examinent d’un air soupçonneux . Que venais-je faire dans leur pays ? La révolution ? Elle avait déjà été faite et çà ne c’était pas bien passé.  Du tourisme ? Avec mes frusques fatiguées, ce n’est pas un type comme  moi qui allait regarnir les coffres de la Banco Nationale.

Une longue attente

J’ ai franchi la frontière sans un mot de plus et j’ai attendu sur le bord de la route. Il faisait beau, certes, même très doux à cette altitude,  pour un mois de septembre. L’Espagne, c’est magnifique et elle a attiré des millions de visiteurs et d’estivants, chaque année, depuis les années 60.

Mais pour le moment, en 1953,  il n’y avait personne. J’ai attendu, attendu, longtemps jusqu’au moment où une vieille guimbarde s’est hissée jusqu’au poste de douane. Un monsieur âgé, bien vêtu , a quitté le volant, parlé quelques secondes avec les gars en uniforme et m’a fait signe.

Je suis monté dans sa voiture. Il ne m’a pas dit un mot. Nous avons roulé jusqu’à la Junquera, la plus proche agglomération. Sans un sourire, sans un mot, il m’a montré du doigt, un bâtiment : c ‘était la gare.

Je suis descendu et la guimbarde est repartie. Je n’ai jamais su qui était ce type. Ni quelle fonction, il avait. Il devait me considérer comme un nomade, sans feu, ni lieu, un de ces «  tramps » à la Jack London ou à la Kerouac qui vagabondaient pour le plaisir et l’aventure.

Je n’avais pas envie du tout de prendre le train. D’abord je n’avais pas  assez d’argent. Pas même de pesetas. J’ai marché jusqu’à la sortie du village sur la route qui menait à Figueras, la ville natale du peintre  excentrique et délirant Salvador Dali. Il n’était pas encore mort ? Peut-être qu’avec un peu de veine  allais-je le rencontrer ?

Manque de pot

Là, je devenais, vraiment surréaliste et ce n’était pas dans mon caractère. La réalité était toute autre. De midi à 16 heures j’ai vu passer, en tout et pour tout, quatre voitures qui m’ont parfaitement ignoré. Par contre, des gens qui allaient à pied, j’en ai compté des dizaines et des dizaines. Ils me regardaient comme si j’arrivais d’une autre planète. Ils passaient leur chemin. Plusieurs carrioles tirées par des ânes et des petits chevaux ont traversé mon regard. Je n’allais tout de même pas faire du « char à bancs stop ».

De désespoir et sans avoir mangé depuis le matin, je suis revenu au centre de la Junquera. J’ai changé les quelques francs qui me restaient. J’ai acheté deux tomates et un billet de train pour Gerone, la ville aux mille sièges, qui résista plus de 7 mois aux troupes de Napoléon.

50ansEspagne003Je n’avais encore rien vu de l’Espagne, pratiquement. Je n’avais plus  qu’une centaine de pesetas. J’étais désespéré et j’étais encore à plus de 100 km de mon lieu de destination, Sils, une petite bourgade de la Costa Brava, à l’intérieur des terres.

Toujours persuadé que la chance me  collait aux basques, je ne suis pas descendu du train à Gerone. J’ai préféré continuer jusqu’à la station suivante plus proche de Sils. Autant de kilomètres en moins à me taper, pensais-je  Pauvre crétin que j’étais ( Sarko aurait dit un autre mot).  Durant le trajet en fraude, un contrôleur est passé . Il a pris mon billet, a secoué la tête et a frotté son pouce contre l’index.

Merde, merde et merde ! J’ai payé l’amende avec ce qui me restait de pesetas et je ne suis pas sûr que le compte y était.

A  la gare de Sils, j’ai quitté mon wagon vers 19 heures et j’ai marché vers l’endroit où se trouvait l’hôtel des parents d’André. L’obscurité était tombée et il faisait noir comme dans un four.  Quasiment pas de lampadaires en Espagne. Trois heures plus tard, je parvenais au but, liquéfié, hagard, traînant mon sac.

-- Bonsoir, je viens voir André, dis-je à la dame au comptoir. C’était sa mère :

-- C’est vous, Pierre. Mais dans quel état vous êtes ? Qu’est ce qui vous est arrivé ? André, viens vite, ton ami est là. Il a l’air bien fatigué.

J’ai fait la connaissance de mon futur compagnon de route. J’ai mangé une omelette de six œufs et un plein saladier de laitue. Je suis allé me coucher après une douche sublime sur le coup de minuit.

Je n’avais encore rien vu de l’Espagne sinon qu’on n’y pratiquait pas l’auto-stop et que les contrôleurs sévissaient comme en France en coinçant les petits fraudeurs.

Le rendez-vous des Amerloques

Les parents d’André étaient très gentils. La maman surtout. Le père, lui, voyait d’un mauvais œil que j’emmène son fils sur des routes inconnues. Et surtout que je le prive d’une aide dont il avait fort besoin.

Car l’hôtel Rosas tournait à plein régime. Non pas à cause du tourisme, qui se cantonnait sur la Costa Brava ( brava veut dire sauvage en espagnol), non pas à cause des Espagnols qui ne bougeaient guère de chez eux, sous le régime franquiste, mais avec les Américains.

A quelques kilomètres de Sils, dans la campagne d’Ampurdan qui s’étale, désolée, en dessous des Pyrénées catalanes, s’était installée une base de l’OTAN.  J’ignorais que les Américains, redoutant les conséquences de la guerre froide avec l’URSS, avaient conclu des accords avec les autorités espagnoles pour installer des bases aériennes importantes en Europe.

J’ai appris, bien après , que des appareils B 17, les fameuses « forteresses volantes » qui stationnaient là, portaient dans leurs flancs, une bombe atomique. Et que l’un d’eux s’était abîmé en mer, du côté de Palamos ou de Palafrugell , avec son impressionnant chargement.  Les informations en ont fait tout un fromage à l’époque.

Bref, on ne parlait pas la langue de Lope de Vega  à l‘hôtel Rosas mais bien l’anglais. Ou plutôt un charabia qui mêlait l’américain du Kansas aux expressions des noirs de Haarlem.

Le midi, les officiers blancs, en tenue kaki impeccable , venaient déjeuner en s’empiffrant de langoustes et de homards qui pullulaient sur la côte . Ils raffolaient  de la paella et buvaient sec un rosé, légèrement pétillant qui s’appelait, je crois, «  monferrant » ( ce n’est pas garanti).

A partir de 18 h c’était la cohue des noirs et des blancs, en civil ou en uniforme, qui se pressaient au bar ou dans la grande salle, pour boire la « sangria » et se goinfrer des délicieux tapas que la maman Ras ( française de naissance et qui se prénommait Josette) préparait, avec deux jeunes brunettes du coin, à tour de bras.

Quelques heures plus tard, les uns et les autres, éclusaient le whisky et le bourbon, dans de grands éclats de voix qui se prolongeaient très tard. C’est d’ailleurs grâce à cette clientèle noctambule que j’eus la chance – si l’on peut dire – de trouver l’hôtel encore ouvert à….10 heures du soir le jour de mon arrivée.

Passage de l’amiral

Bref, durant mon séjour à l’hôtel Rosas, je n’ai pratiquement pas mis le pied dehors. Quand la presse s’apaisait, je  déployai des cartes routières de Yougoslavie, de Grêce et de Turquie, pour, en compagnie d’André, esquisser des itinéraires possibles. On établissait une sorte de calendrier pour rouler au printemps sur les routes d’Europe et basculer après l’été vers le sud de la Turquie et aborder le désert de Syrie.

Midi et soir, je faisais le barman avec André et son père. Il fallait voir comment on saisissait les bouteilles sur les étagères, dévissant les bouchons en un tournemain, versant d’un coup de poignet une rasade dans les verres.

On jetait au besoin un glaçon, en disant avec le sourire : O K, por favor. Quant à la pompe à bière, elle fonctionnait à plein régime.

--  Cerveza, Cerveza ! répétaient les militaires.

-- Hombre ! Hombre ! Todo ira bien.

 Nous n’étions pas assez de trois pour faire face aux commandes tandis que les femmes s’affairaient dans la grande cuisine à tartiner des tranches de pain gris garnies de jambon cru et de charcuteries pour faire patienter les clients qu’on servait jusqu’à 23 heures.

J’ai plus parlé l’américain en quatre jours que durant les quinze jours passés, seul, plus tard, à Washington. Enfin, parler c’est beaucoup dire. C’était surtout des interjections. André et son père parvenaient à tenir des conversations plus longues quand ils en avaient le temps. Pour mon camarade, cela lui a beaucoup servi par la suite dans ses pérégrinations à l’étranger.

C’était  un plaisir pour moi de vivre cette ambiance mais il fallait tout de même songer à revenir au logis. Je n’avais plus de souci d’argent puisque les pourboires que je recevais commençaient à gonfler mon portefeuille. Quant à découvrir l’Espagne, ses sombreros et ses mantilles, ce serait pour une autre fois.

Le vendredi soir, un homme d’une cinquantaine d’années, fort bien vêtu d’un complet trois pièces et d’un superbe manteau en poil de chèvre brun poussa la porte d’entrée. Il demanda si une chambre était encore libre et s’installa au bar.

Je dois dire que l’hôtel Rosas comportait quelques chambres mais ne pratiquait pas la chambre à l’heure comme d’autres établissements aux alentours. La présence des aviateurs et des personnels au sol avait attiré, on s’en doute, un bataillon de personnes de l’autre sexe, des espagnoles plus ou moins jeunes, qui vivaient de leurs charmes. Ici on leur servait à boire, les américains payaient, un point c’est tout.

Après quelques verres, le nouvel arrivant, se mit à parler. D’abord en espagnol, puis dans un anglais châtié. Quand il comprit que j’étais français, il conversa dans un français parfait. Je n’en revenais pas !

Trilingue pratiquement sans accent : mazette, c’était quelqu’un. Il avait de la classe.

Les militaires ayant regagné leur base sur le coup de minuit, l’arrivant se remit au bar. Il parlait bien et il buvait beaucoup. Je l’écoutais tandis qu’André essuyait les derniers verres et que son père relevait la caisse.

Il arrivait de Lisbonne et se rendait  du côté de Baden-Baden , dans la zone française d’occupation pour une autre conférence . Sur le coup je n’ai pas très bien compris mais il était question de rencontres informelles à propos de l’OTAN.

Embauché comme chauffeur

C’était un diplomate norvégien, apparenté à la famille royale et il avait servi durant toute la guerre sur une unité de la Royal Navy britannique. Il avait le rang d’amiral ou de vice-amiral dans la marine de son pays.

J’étais sous le charme de sa conversation, c’est entendu,  mais une idée m’était venue en l’écoutant.

Puisqu’il partait pour l’Allemagne, il devait nécessairement traverser la France. Plus besoin de lever le pouce à la sortie des villes pour dénicher un chauffeur. Accepterait-il de m’emmener pour rentrer chez moi ?

Je croyais en ma chance. Je ne savais pas dans quelle situation tragi-comique j’allais m’embarquer.

50ansEspagne004Le lendemain matin – c’était un vendredi- à 8 h, « mon » amiral était déjà à table : œufs sur le plat, bacon et tout le petit-déjeuner anglo-américain. D’emblée, j’attaque :

-- Vous reprenez la route ce matin ? Pourriez vous me ramener en France car ici, en Espagne, l’auto stop ne marche pas ?

Il me regarde , des pieds à la tête ( j’étais lavé, rasé avec des vêtements relativement propres) et me demande :

-- Avez-vous un permis de conduire les automobiles ?

-- Oui, assez récent car je l’ai obtenu au service militaire au Maroc.

-- Très bien, vous me servirez de chauffeur. Je fatigue au volant. Nous partons dans ¾ d’heure.

Je bondis dans l’escalier préparer mon barda quand André me rattrape à la première marche

-- Pierre, j’ai en service à te demander .

-- D’ac ! Qu’est ce que c’est ?

En vitesse il m’explique qu’il dispose de plus de 1 000 dollars en coupures, qu’il ne peut pas acheter la moto en Espagne, qu’il faut les transférer en France, où il dénichera la bécane neuve ou d’occasion. Bref !

-- Veux-tu me passer les 1000 dollars et les remettre à la Banque du Roussillon, à Perpignan ? J’ai déjà un compte là-bas . Je les préviens et tout est OK.

Voilà comment je m‘embarque dans la voiture de l’amiral, une superbe Simca 1500, métallisée doré et qui est, plus est, arbore, devant et derrière, la plaque  CD ( Corps Diplomatique).

 Pour passer des biftons en fraude, il n’y a pas de moyen plus sûr. Les 1000 dollars passent sous mes chaussettes, dans mes rangers. Je suis complètement inconscient des risques que je prends et que je fais prendre à mon amiral. J’ai quelque peine à marcher sur ce drôle de matelas mais personne ne s’en aperçoit. Il suffit de s’habituer à l’idée d’avoir une petite fortune sous les pieds. Provisoirement, on s’en doute, mais tout de même c’est grisant !

Il fait un temps splendide. Lukas – je l’appellerai de ce prénom dans mon récit mais il porte un autre , beaucoup plus noble – prend le volant et c’est parti pour une randonnée automobile de rêve, le long de la côte catalane. Le site est encore préservé, les calanques ont un charme fou et la route en corniche offre de superbes points de vue.

Voici la frontière. Les papiers : ils sont en règle. Coup d’œil discret des gabelous  espagnols sur les bagages. Rien à déclarer. Même topo à la douane française. La main au képi, les militaires en poste , saluent le diplomate et son chauffeur. Youpi ! C’est passé comme une fleur.

J’ose demander à mon amiral si je peux  disposer de quelques minutes pour faire une course urgente à la Banque du Roussillon. Il accepte le crochet par Perpignan et je profite d’une courte halte, dans un café-bar, pour retirer l’argent de mes godasses. Je me vois mal, en effet, me déchausser, publiquement, dans le hall devant les clients de la banque et les employés et retirer la liasse de billets verts..

Quand on devient subitement un petit délinquant financier, il faut savoir rester lucide et prendre les décisions qui s’imposent sans jamais être pris au dépourvu. Réfléchir, d’abord. Agir ensuite. Jamais le contraire. Je donne le conseil à tout le monde, c’est gratuit.

Le dépôt des économies d’André à la Caisse centrale ne devient qu’une simple formalité. En moins de dix minutes, l’affaire est réglée puisqu’ils ont été prévenus – « ils », ce sont les banquiers et ce n’est certainement pas la première fois qu’ils encaissent les fafiots de cette façon, surtout des devises étrangères –Et ce, malgré un contrôle des changes de plus en plus rigoureux.

Le champion du volant

J’ai remercié mon chauffeur pour cette courte halte. Nous reprenons la route. Perpignan – Narbonne- Béziers. Je connais le chemin pour l’avoir fait dans d’autres conditions la semaine précédente. Un peu avant Sète et comme il est midi, je me hasarde à demander :

--  Voulez vous déjeuner dans cette ville ou voulez vous pousser jusqu’à Montpellier ?

Il se met à sourire, pour la première fois. Jusqu’à présent l’amiral n’a pas été très loquace. Il conservait un air grave et conduisait sans dire un mot. Ce qui n’était pas pour me déplaire car je craignais de donner trop d’explications sur mes aventures espagnoles et ses avatars financiers.

-- Vous, mon garçon, vous êtes bien français. A midi, la France mange et tout s’arrête. Nous continuons notre chemin et c’est tant mieux car il n’y aura plus beaucoup de monde sur la route. A votre tour de prendre le volant.

Le moment fatidique venait de sonner. Pour tout dire je n’étais pas  un as de la conduite automobile.

Sous l’uniforme, au 2ème Bureau à l’Etat-Major de Rabat, je me déplaçai, pour les besoins du service, avec un chauffeur, galons de brigadier-chef obligent. J’avais peut-être six heures d’expérience au volant d’une jeep, pendant les manœuvres, dans le Moyen Atlas. C’était tout.

Depuis près de deux ans, je n’avais plus touché un volant et des pédales.

C’est donc avec beaucoup d’appréhension – beaucoup plus qu’à la frontière – que je m’installai à la place du chauffeur. Les premières minutes furent pénibles. Je calai, une fois, deux fois. L’amiral me regardait avec indulgence.

-- Excusez-moi. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de voiture. Je vais faire le double débrayage, comme à l’armée.

Finalement je pris de l’assurance. La 1500 Simca roulait bien, une fois qu’on s’habituait au changement de vitesse et à l’accélérateur. J’avais l’estomac noué et surtout vide. Je crevais de faim mais il fallait bien accepter la situation. J’étais embauché comme chauffeur. Comme chauffeur, je rejoignis la nationale 7, un peu en dessous d’Avignon.

Fort heureusement, il n’y avait pas grand monde sur la route. C’était vrai. Entre midi et deux heures la France ne roule pas. Elle mange. L’amiral me tendit une plaquette de chewing-gum.

-- Tenez, çà vous évitera des crampes d’estomac. Moi, j’ai l’habitude. Pendant la guerre, dans la Royal Navy, sur les escorteurs ou les chasseurs de sous-marins, on ne mangeait jamais à des heures régulières.

On fumait beaucoup pendant la pause. On buvait aussi alors que c’était interdit. On serrait surtout les fesses dans l’attente des torpilles.  L’estomac obéit. Avant Lyon, je prendrai le relais car cette ville n’est pas facile à traverser. Surtout pour un «  bleu-bite » comme vous.

L’amiral connaissait même des mots de l’argot français. Il avait une expérience fantastique des hommes, des habitudes de tel ou tel pays, des mœurs et des croyances. Il se mit à parler, à parler, à se confier sans jamais révéler sa véritable nature.

Ce vendredi soir de septembre, nous parvenions à Mâcon. Il stationna la voiture sur une place, près d’un kiosque à musique, repéra un hôtel-restaurant, demanda une chambre.

-- Deux, dis-je, je ne vais pas dormir dans la voiture. J’ai de quoi payer.

-- Chut ! jeune homme. C’est moi qui règle la note. Vous êtes mon chauffeur. Je vous ai accepté jusqu’à présent et nos rapports ont été bons. Alors, silence et buvez un verre. Après nous irons à table car vous devez avoir faim.

Je ne sais pas si c’était de l’humour ou une phrase venue naturellement. Mais j’avais tellement besoin de manger, ce soir là, que je ne répondis rien. J’aurais bouffé des pieds de table en vinaigrette. L’Espagne était loin. D’ailleurs je n’en avais encore rien vu, sinon des paysages ensoleillés, entr’aperçus, des maisons blanches et une mer d’un bleu cobalt. Mais là, je voulais manger, apaiser ma fringale, remplir ma panse qui criait famine depuis le matin.

Une nuit d’enfer

Aucune souvenance du menu qui était, fort heureusement, copieux et fort arrosé de vins de pays. Sur ce plan là, j’avais une certaine expérience et je tenais bien le coup, le verre en main. L’amiral également, mais il a, ensuite, au bar de l’hôtel, mélangé les fine champagne et les marcs de Bourgogne. Moi, je vidais les verres, en douce, dans la terre du palmier- nain, à ma droite, sur le comptoir.

Sur le coup de minuit, Lukas, le bel amiral, était dans un état pitoyable.

Je parvins à le hisser au 1er étage, à ouvrir la porte de la chambre 15 et à le jeter sur le lit tout habillé. Alors il reprit ses esprits et commença la nuit d’enfer.

J’avais déjà subi, dans mon jeune temps, les avances de personnages homosexuels. Je connaissais leurs manières d’enjôler, leurs téméraires audaces,  et j’avais réussi à échapper au «  brevet de tirailleur » dans les geôles du vieux Palais de Justice de Lille où m’avait entraîné un juge d’Instruction désireux de me montrer les cachots.

-- Pour un reportage, m’avait-il confié. Peu de journalistes ont eu cette chance. Il ne faut pas la manquer.

Lukas, émoustillé par l’alcool, maintenant  dégrisé, révéla sa vraie nature. Inutile d’entrer dans les détails. On faillit en venir aux mains. J’étais décidé à faire du scandale, à ameuter les clients de l’hôtel. A un moment il me tendit sa ceinture :

-- Frappe moi, tape le plus fort possible. Je suis un salaud, un scélérat et l’homme le plus malheureux du monde.

 Malheureux, certes, il devait l’être. Je parvins à le calmer. Il me raconta sa vie et je m’endormis sur la carpette au pied du lit. Puisqu’on revenait d’Espagne, la corrida était finie et il n’y avait pas eu d’oreille coupée et de mise à mort.

Le lendemain matin, nous eûmes toutes les peines du monde à récupérer la voiture. On l’avait laissée sur une place sans regarder les panneaux  municipaux : Défense de stationner le samedi matin de 6 h à 13 h : marché hebdomadaire.

Nous avons bousculé quelques éventaires et repris la route vers la frontière allemande, en passant par la Haute Saône et l’Alsace jusqu’en Sarre. Nous n’avons plus reparlé des événements de la nuit. A croire que rien ne s’était jamais passé.  Je me conduisais avec l’amiral plein d’assurance, celle d’un vieux chauffeur de maître qui n’a rien à redouter de son patron.

Je quittai le volant et l’amiral, pratiquement à la frontière. Il n’était pas raisonnable de poursuivre cette randonnée jusqu’à Baden-Baden. Il m’a demandé mon adresse. Il voulait m’envoyer un poste transistor, un bijou qu’on venait de mettre sur le marché , en guise de salaire. J’ai refusé. Mais il m’a écrit plusieurs lettres, les mois suivants. Jusqu’au moment de mon mariage où j’ai demandé l’arrêt de cette correspondance. Ah ! l’Espagne, quelle  aventure !

L’amiral m’avait laissé à la frontière sarroise et poursuivait sa route seul, vers Baden-Baden. Je devais regagner Lille dans les plus brefs délais car mon congé touchait à sa fin..

J’avais à peine levé le bras qu’un énorme camion-remorque s’arrêtait à ma hauteur. Le chauffeur était un jeune allemand . Il convoyait des pièces automobiles pour l’usine SIMCA à Poissy. Décidément ! Simca me poursuivait de bout en bout..

Poissy, c’était à côté de Paris. Il n’y avait pas à hésiter. Je  finirai mon voyage-stop en Espagne, en prenant le train à la gare du Nord. Tous les chemins mènent à Rome, c’est bien connu. Et à Lille en passant par l’Est.

Les conversations dans la cabine du camion étaient limitées du fait de l’ignorance de notre vocabulaire respectif. Mais le jeune chauffeur me fit comprendre, peu avant Metz, qu’il commençait à fatiguer. C’était à moi de prendre le volant.

Là, c’était trop fort !  Je voulais bien servir de pilote pour une voiture particulière. Mais je ne poussais pas l’inconscience à emmener un poids-lourd de 35 tonnes sur les routes de France.

Finalement, après une courte halte de deux heures pour un mauvais sommeil, le jeune Allemand, qui avait tout juste 20 ans, reprit le volant. « Le gros cul » me lâchait, porte de Pantin, sur le coup de 10 heures du matin.

-- Danke schön, cher ami. Au plaisir d’un prochain voyage.

J’étais à la maison le dimanche soir pour reprendre le boulot le lendemain matin. Cette escapade en Espagne me laissa des souvenirs mitigés.

 Je ne suis jamais parti pour Pékin à moto. Mon scooter Bernardet 250cm3, acheté d’occasion, tomba en panne dans le mois suivant l’achat. Je m’étais fait rouler comme un bleu.

André, lui, est parti, sur une Terrot  350cm3. Le coup d’envoi fut donné au pied de la Tour Eiffel. Il tentait l’aventure en solo après avoir récupéré son argent à Perpignan. Il eut un premier pépin en Syrie et termina son circuit en Inde, en entrant en collision avec une vache sacrée. Une jambe cassée et un mois d’hôpital.  Je dus lui envoyer de l’argent car il était à sec. La scoumoune, la poisse, l’adversité.

Bref, il abandonna. J’ai rédigé ses mésaventures à l’époque. Si je les retrouve dans mes paperasses, je les présenterai dans un 3 eme volet. Mais il ne sera plus question d’Espagne. Je crois bien qu’il n’y remit jamais les pieds car il s’était fâché avec ses parents. Après avoir passé quelques jours chez moi à Mons en Baroeul, à son retour en France, il fila vers d’autres destinations. La dernière carte postale que je reçus venait d’Alaska. C’était un aventurier.

Voyage de noces d’argent

27 ans plus tard, de nouveau, direction le péninsule ibérique. Nous célébrons, Jacqueline et moi, en 1980, nos noces d’argent. Nous décidons de passer quelques jours en Catalogne, histoire de raviver quelques souvenirs, pour elle comme pour moi. Ce sera pour les vacances de Pentecôte. Une semaine de détente.

Le général Franco meurt en 1975. La démocratisation ne concerne pas seulement la politique mais aussi le tourisme. Le pays s’ouvre aux flots pressés de gens qui cherchent le soleil et le dépaysement.

Nous prenons la route plein Sud, avec une voiture Simca ( décidément, çà nous poursuit..), passons par Andorre et les cols pyrénéens encore enneigés en cette saison.

La première nuit, nous la vivrons dans un « paradore » du côté de Lerida.

La principale originalité de ces établissements qui viennent d’être créés par le ministère du Tourisme est de proposer gîte et couvert dans des châteaux-forts ou des manoirs, superbement restaurés et aménagés. Le nôtre est magnifique, le service impeccable , le personnel aux petits soins. Tout cela pour un prix raisonnable.

Ce voyage en Espagne commence royalement, à l’image de Juan Carlos, petit fils d’Alphonse XIII, qui jouit depuis la mort du Caudillo d’une grande popularité.

 L’Espagne a trouvé en lui, un vrai chef de file. Depuis son accès au trône, il a fait preuve d’un grand courage, d’une volonté de fer et de beaucoup de diplomatie en soutenant le premier Ministre dans sa tâche de démocratisation et de libéralisation.

Lerida, pas grand chose à dire : une citadelle érigée sur une butte. Il y eut tant de combats depuis Pompée qui affronta César qu’il ne reste que quelques fortifications.

Nous filons sur Tarragone, considérée à l’époque romaine comme une des villes les plus importantes de l’Espagne. Nous nous arrêtons à Réus pour la nuit. La chance commence à nous abandonner. Car nous ignorons que dans cette ville se prépare une grande fête pour la Pentecôte. Faute de place, car les réjouissances commencent le samedi, nous devons nous rabattre sur un hôtel miteux.

Dire que la veille on était aux petits soins pour nous au « paradore », avec chandelles dorées sur la table, serviettes damassées et nappe brodée. Ici, la table est en formica et les serviettes en papier. Grandeur et décadence. Mais le patron est gentil. Il n’est pas responsable du tohu-bohu dans la rue qui a duré toute la nuit. On installe les éventaires et çà bagarre dur pour les emplacements.

Nous décidons de fuir cette foire à neu-neu pour rejoindre la côte à Sitges. C’est une sorte de Saint Tropez espagnol, très fréquenté, paraît-il, par les gays qui commencent, cette année là, en 1980, leur « coming out » comme on dit aujourd’hui. C’est à dire qu’ils vivent sans se cacher.

 L’amiral, rencontré à Sils, il y a des années, trouverait dans les parages de quoi satisfaire ses pulsions. Mais il doit se faire bien vieux et ici on ne rencontre que des jeunes garçons qui se tiennent tendrement par la main.

Au déjeuner, sur la terrasse du restaurant, sous un beau soleil, nous décidons du programme de l’après-midi et du lendemain.

Bonjour Christophe Colomb

Nous sommes le dimanche de Pentecôte, et il nous reste quatre jours pour pérégriner en Catalogne. Jacqueline veut descendre sur Valence.

--C’est beaucoup trop loin, fais-je remarquer. 200 km au sud. Je préfère remonter sur Barcelone et passer le reste du temps sur la Costa Brava.

C’était la plus mauvaise des décisions mais quand le hasard fait mal les choses, il est impitoyable. Comment savoir ?

Nous remontons donc sur la capitale de la Catalogne, dans une circulation qui devient de plus en plus difficile au fur et à mesure qu’on se rapproche de la grande ville.

Vers 17 h nous stationnons la voiture devant le Palais de Justice de Barcelone. Premier objectif : trouver une chambre pour la nuit, ce qui ne doit pas être commode étant donné que les jours fériés de Pentecôte drainent beaucoup de gens en ville.

Jacqueline prend son sac à main et moi, l’appareil photo. Et nous partons à l’aventure.

Barcelone était devenue le symbole de la «  movida ». Cette expression définit la mode de tout ce qui bouge, d’un mouvement perpétuel, ample vague d’une liberté débordante. La ville bourdonne comme une ruche, les hommes en bras de chemise et les femmes en robes légères et multicolores.

Seul, Christophe Colomb sur sa stèle, demeure immobile. A 60 mètres de hauteur, il indique, de façon vigoureuse, la route des Indes. Ce n’est pas la nôtre. Ce qui importe, en ce moment, c’est de dénicher une chambre.

Nous passons devant la Catédral sans entrer car nous pensons la visiter ultérieurement et dans le calme. Un coup d’œil à la Sagrada Familia, cette œuvre majestueuse de Gaudi, mise en chantier en 1883 et dont la 1ère tranche a seulement été achevée en 1926 !

Une église médiévale dont la façade de la Nativité, à l’est, est la seule terminée. Délire architectural dans la profusion des formes géométriques, cette découverte nous renverse car les rêves surréalistes d’Antonio Gaudi dépassent tout ce qu’on peut imaginer.

Notre intention est d’y revenir et de mieux connaître ce génial créateur, né à Réus – où nous avons passé une nuit agitée – en 1852 et mort en 1926, fauché par un tramway.

Notre promenade aboutit sur les Ramblas, cette splendide perspective qui descend vers la mer, protégée du soleil par des arbres déjà bien en feuilles. Nous sommes ravis d’autant plus que nous dénichons la chambre dans un hôtel du secteur, sans avoir à multiplier les recherches. La chance est avec nous ! Estamos muy bien. Retour à la voiture pour récupérer nos bagages, en vitesse. La soirée promet d’être belle

Dépouillés en un rien de temps

Devant notre Simca se tiennent trois personnes. Ce sont des Français qui ont découvert notre plaque F. Ils désirent échanger quelques impressions sur leur séjour en Espagne.

-- Mais vous avez eu un accident ? nous demandent-ils en montrant des débris de verre répandus sur le trottoir.

-- Pas du tout. Qu’est ce que c’est que ce fourbi ?

A peine ai-je fait quelques pas que je découvre l’horreur : la vitre arrière de notre voiture a volé en éclats. La custode a été arrachée. Il n’y a plus de bagages sur la banquette arrière. Tout a disparu dans ce vol à la sauvette, en plein jour, en pleine ville, devant le Palais de Justice de Barcelone, où vont et viennent des dizaines de badauds.

Il faut se rendre à l’évidence. Des salopards ont sévi en quelques secondes. Ils ne doivent pas être à leur premier mauvais coup. Ils ont emporté nos deux valises qui se trouvaient dans le coffre en basculant les sièges arrière. Ils ont fait main basse sur le «  vanity  case » de Jacqueline et sur ma sacoche. Elle contenait nos passeports, l’argent en réserve, les pellicules photos déjà impressionnées les jours précédents.

Il ne nous reste que les pesetas que nous avions sur nous, mon appareil photo et la trousse à maquillage de Jacqueline qui se trouvait dans son sac.

La plainte déposée au commissariat de police, non sans peine, ne donnera rien. L’inspecteur de permanence lève les sourcils, qu’il a fort épais, en signe de commisération. Il essaie de m’expliquer que ce vol se pratique avec une brique enveloppée dans un torchon, et ce, devant témoins qui font semblant de ne rien voir.

Inutile de se précipiter dans le quartier Barrio Chino, de très mauvaise réputation où nos affaires vont être dispersées et vendues en un éclair. Inutile d’aller se plaindre au consulat. Le dimanche de Pentecôte, il y a personne. Nous subissons un préjudice de quelque 6 000 f sans espérer récupérer un centime.

 Nous avons tout juste l’argent pour payer la nuit d’hôtel où nous arrivons, penauds, sans bagages. Même pas une brosse à dents, pour la toilette du matin.

La nuit fut courte car la pilule était amère à digérer. Des années plus tard, «  le Routard »  donnera les conseils utiles pour éviter d’être les victimes de cette spécialité locale qu’est le vol à la tire. Les loubards, organisés en bandes, ne s’en prennent pas qu’aux petites vieilles démunies, à Barcelone. Les touristes de passage sont des gibiers de choix.

Nous avons payé l’hôtelier avec l’argent qui nous restait. Fort heureusement le plein d’essence avait été fait peu avant. Un seul moyen pour nous tirer de ce guêpier, la fuite vers la France où les chèques mis en portefeuille seraient acceptés.

Je n’ai pas pensé sur le moment à me rendre à la banque du Roussillon de Perpignan où j’avais déposé les dollars d’André, quelque 27 ans auparavant.. D’ailleurs ils ne m’auraient pas reconnu. J’avais tellement changé de silhouette,  passée de 65 à 80 kilos. Le mariage modifie la vie d’un homme, au physique comme au moral.

Sur la route du retour nous avons tout de même fait halte à Montserrat, à 30km de Barcelone. On ne pouvait pas louper ce site extraordinaire qui constitue un lieu privilégié où s’étaient donnés rendez-vous des milliers de pélerins en ce lundi de Pentecôte.

Le monastère construit au XII° siècle après la découverte d’une Vierge miraculeuse dans une des grottes de la montagne , rasé par les troupes de Napoléon et reconstruit au XIX° jouxte la basilique. Ce jour là les fidèles défilaient à pas cadencés pour baiser le globe que tient la Vierge Noire, la Morenata, la sainte patronne de la Catalogne. C’était un spectacle extraordinaire qui nous a fait oublier notre désolation.

Tout compte fait, ( vol en argent liquide : 1000 f et 25 000 pesetas, plus les bagages et accessoires) se faire dévaliser apparaît tout de même moins grave qu’ être victime d’un accident de la route. Nous sommes rentrés, sans rien, mais sur nos deux jambes.

Les forcenés d’Almunecar

En 1993 nous venions de vendre la « datcha  des   Templiers » à Neuilly l’Hôpital , dans la Somme car Jacqueline refusait d’entretenir deux maisons. Pour moi ce fut une grosse déception. Je ruminais des idées noires et c’est dans cet état d’esprit que nous décidâmes d’entreprendre une excursion à la Costa del Sol.

C’était une nouvelle formule : rejoindre l’Andalousie avec une agence de voyages belge par bus à deux étages. Le bus prenait un premier contingent à Anvers, un second à Gand et un troisième à Villeneuve d’Ascq, en France. 26 heures de trajet. Pour remettre le moral en place, il eût fallu autre chose.

Partis le samedi à 10 heures nous sommes arrivés à destination le lendemain midi à Almunecar avec quatre arrêts-pipi pour se dégourdir les jambes.

50ansEspagne005Les repas se prenaient sur des plateaux télévision que distribuait une hôtesse tandis que deux chauffeurs se relayaient au volant. Les malheureux. A peine arrivés, ils passaient à la douche, remettaient des vêtements propres,  embarquaient 80 passagers et repartaient dare-dare avec leur nouveau contingent vers le nord de l’Europe. Ils faisaient le trajet Anvers-Almunecar deux fois par semaine. A devenir fou. Il paraît qu’ils gagnaient bien leur vie.

Almunecar, au pied de la Sierra Nevada, sur les bords de la Méditerranée, n’est pas mentionnée dans les guides et même dans «  le Routard ». C’est une vraie catastrophe, le symbole de la promotion hôtelière dans toute son horreur. Trente ou quarante hôtels de quinze à vingt étages bétonnent le rivage, au coude à coude.

Je ne me souviens même pas du nom de notre hôtel, ni même de l’étage dans lequel on nous avait placés. On se trouvait, avec des collègues du journal qui tentaient l’expérience avec nous, dans des clapiers superposés.

Balcon avec vue sur la grande Bleue, un lit Ikea avec deux tables de chevet, une table basse et une salle d’eau –WC. Plus un renfoncement qui s’avérait être un placard. Au total 550 chambres, dans notre « palace ». Plus de 600 chez les autres.

Faites le calcul de l’hébergement de ce petit village dont on ne sait même pas si il abrite encore des autochtones. Pour découvrir des maisons il faut se rendre à Motril où nous avons loué une voiture pour quelques excursions.

Toute l’année des centaines de cars déversent à Almunecar plus de 10 000 personnes par semaine, été comme hiver. Des Mimile de tous les pays , avec des casquettes à grande visière et des polos rayés, d’énormes Mamies en short orange ou avec des jupes à volants.

Chaque midi et chaque soir nous les retrouvions lors des repas. Une tragi-comédie à chaque fois. Il y avait trois services, l’un à 11h 30, l’autre à midi 30 et le troisième à 13 heures 30.

Dès la fin de la matinée, de retour de leur petite promenade qui les emmenait à la terrasse de l’un ou l’autre des établissements proches pour l’apéro traditionnel, les plus affamés faisaient déjà la queue au deux buffets.

A la sonnerie, c’était la ruée sur les assiettes, la course aux hors d’œuvre, la lutte pour le plat de consistance à base souvent de poissons. Certains, inquiets, se jetaient sur les desserts, prenaient les fraises et les cerises à pleines poignées. On se serait cru dans un camp de concentration de crève-la- faim.

Lors du 2éme service, même topo. Mais déjà les rouspétances donnaient de la voix : « Ils ont piqué toutes les fraises. Y a même plus de cerises. Il ne reste que les oranges. Et où sont passés les petits choux à la crème ? » Et ceci dans toutes les langues, le flamand, l’anglais, l’allemand et surtout le français. Car les sujets de François Mitterrand – on était en 1993 – nés dans les années vingt, qui avaient connu la guerre et l’occupation, les restrictions et tout et tout, demeuraient les champions incontestés de la cornette : râler, morigéner, jouer Ramona, c’était dans leurs cordes.

Nous avions décidé d’être les invités du 3ème service, ce qui nous permettait de rester plus longtemps à table et de bavarder. Si tant est qu’on puisse bien se parler dans cette cacophonie de réfectoire et le cliquetis des couverts sur les assiettes.

Bon, on ne va pas chercher des poux et mettre les pieds dans le plat pour des histoires de bouffe. Elle était copieuse et internationale, c’est à dire qu’on a peu mangé de seiches aux fèves ou bu le « gaspacho », la spécialité des spécialités andalouses, cette soupe d’oignons, de poivrons et de tomates qu’on boit froide et bien relevée.

Des excursions, j’en ai retenu deux, qu’on a pu faire avec les voitures louées à Motril.

A Grenade, d’abord, à 680 mètres d’altitude , dans un site verdoyant et l’horizon barré par les sommets enneigés de la Sierra Nevada. Au 1er plan se détache l’Alhambra, chef d’œuvre de l’architecture arabe, cerné par ses magnifiques murs rouges. L’une des plus remarquables forteresses que l’homme ait jamais réalisées. Nous l’avons parcourue de long en large, découvrant la célèbre Cour des Lions, joyau du palais, édifiée  autour de l’antique fontaine.

La seconde concernait les grottes de Nerja, célèbres pour leurs impressionnantes concrétions calcaires ( un stalactite mesure  65 mètres) bien mises en valeur par des éclairages savants.

Ensuite, Jacqueline a glissé sur un carrelage mouillé, devant une vitrine. Elle est tombée lourdement et s’est foulé la cheville. Il a fallu appeler un médecin, arrogant, qui, ne comprenait pas un mot de français. De ce fait, on n’ a plus bougé de la chambre et on a attendu le retour. Dans le bus belge et dans les mêmes conditions : 26 heures d’immobilité forcée. Pour Jacqueline, c’était obligatoire et pour moi, une certitude de ne plus renouveler une expérience semblable.

Les pigeons de Malaga

Je n’en avais pas fini avec les déboires espagnols. En août 2003 j’allais en vivre de nouveaux avec ma sœur Françoise. Je me trouvais seul depuis janvier 2000, Jacqueline étant décédée d’un cancer de la moelle osseuse et je traînais des jours gris.

Un jeudi, Françoise m’annonce : J’ai rendez vous à Malaga, en Espagne, pour céder ma part d’appartement de Fuengirola. Je n’en peux plus de traîner ce boulet. Une solution s’offre. Je ne veux pas la rater.

50ansEspagne006Il faut dire que Jean Louis, son mari, décédé l’année précédente, et elle s’étaient laissé tenter par une location d’appartement sur la côte sud de l’Espagne en time-share. Il s’agit d’une formule qui permet d’occuper un logement pendant une semaine, à une certaine période de l’année, en versant une somme d’argent importante au départ et en payant ensuite les charges annuelles.

 Au final çà coûte beaucoup et çà engage à verser sa quote-part une vie entière. A moins de trouver un remplaçant. A présent, ils ne sont pas nombreux à tomber dans le panneau.

L’opportunité s’offrait d’en finir avec cette formule. Il ne fallait pas la manquer.

En cette période de l’année, les vols pour l’Espagne étaient complets. Elle avait tenté Air France, British Airways, Air Europa, Ibéria, Spanair sans succès. Pourtant les billets n’étaient pas donnés : de 971 € à 2492€ pour deux personnes aller-et-retour..

Grâce à un ami qui travaille à  «  Nouvelles Frontières », je parviens à dénicher deux places sur un vol charter « Virgin » pour le lendemain à l’aéroport de Zaventem, près de Bruxelles. Je me pique au jeu. L’aventure me plaît. C’est parti, mon kiki.

Pas un siège libre sur le Boeing 737-400. Beaucoup de Maghrébins qui rejoignent le Maroc en passant par Malaga ou Algésiras, par avion et par bateau plutôt que de se farcir 3000 km en voiture pour traverser la France et l’Espagne du nord au sud.

Voyage sans histoire. Malaga s’étend au pied d’une colline à l’embouchure du Guadalmedina. Une belle ville, en chantier permanent. Du 9ème étage de l’hôtel «  Malaga Palaccio », où nous sommes descendus sur les indications de l’acheteur du contrat, on ne voit que des grues au-dessus des toits roses ou de tuiles vernissées.

Nous profitons de ce point de vue, gratuit, puisque le fameux acheteur a promis par écrit de nous rembourser les billets d’avion et les deux nuits d’hôtel si l’affaire se conclue.

Très agréable de se trouver au centre ville , à 200 mètres de la cathédrale commencée au 16ème siècle et qui n’est pas encore achevée. Style baroque avec des coupoles sculptées de palmes, de coquilles et de motifs divers,  elle vaut le coup d’œil comme une autre église rectangulaire qui est un reste d’une ancienne mosquée. Les Maures ont longtemps occupé l’Andalousie et une grande partie de l’Espagne.

Circulation intense avec cyclos, motos, voitures qui se faufilent entre des calèches attelées de chevaux andalous et des «  autobus urbanos » qui se croient en permanente priorité. Beaucoup de bruit et d’agitation.

Perché sur son promontoire, l’Alcazaba, construit par les Romains, fortifié par les Maures échappe à cette animation désordonnée. Il domine le  « Teatro Romano » récemment mis à jour et objet de fouilles archéologiques et regarde le «  Castillo de Gibralfaro », un édifice forteresse impressionnant. Sacrée grimpette pour y accéder.

L’après-midi du jeudi, ou plutôt en soirée car il a fait fort chaud, promenade dans les petites rues qui donnent sur le Molina Lario ou sur le Larios ; magnifique avenue pavée de marbre qui donne sur la Place de la Constitution.

Partout, des restos avec chaises et tables en plein air. On vit dehors en Espagne du Sud et les terrasses accueillent des centaines de clients. Nous parvenons à trouver, à 21 h 30, deux places chez «  Gorki » pour avaler une «  salada » arrosée de plusieurs verres de bière car il fait soif,  même quand la nuit tombe.

 Il fait encore 38 degrés et on a l’impression que le soleil reste à demeure du matin jusqu’au soir. Comme dessert : deux boules de glace que j’accompagne d’un nouveau bock de 50 centilitres de bière. A déclencher une «  tourista » des familles. Françoise préfère un verre de Malaga qu’elle trouve trop sucré et peu désaltérant.

Cà ressemble à un «  marsala aux œufs » d’origine italienne juge t-elle.

Une arnaque cousue de fil blanc

Le lendemain, à midi, j’enfile le veston malgré la chaleur. Françoise, la grande tenue estivale. La rencontre avec le dirigeant  « d’Helpshare » - c’est ainsi que s’appelle la société qui rachète les contrats  - est prévue à ce moment là de la journée. Un chauffeur vient même nous prendre dans une superbe bagnole pour nous conduire à un petit immeuble où nous attend, le directeur, un certain M. Bernard Martin.

50ansEspagne007La cinquantaine, cravaté, costume trois pièces, l’oeil vif mais sombre, il veut faire impression. Avec un sourire de circonstance, il explique les raisons de cette rencontre précipitée. Il a besoin de conclure le maximum de contrats avant la fin août. En racheter, en vendre. Pourquoi ?

Parce que, paraît-il, il doit rapatrier des capitaux importants placés dans des paradis fiscaux comme Malte, Andorre et Saint Domingue. Sa proposition est simple : Françoise touchera 10 000€ pour la vente de son contrat mais recevra de la société Helpshare 29 000 € sur son compte. A charge pour elle de reverser les 19 000€ ensuite.

Une belle arnaque cousue de gros fil. Nous comprenons très vite que ce monsieur Martin va faire endosser à des particuliers français ou étrangers de l’argent venu d’ailleurs, de l’argent sale qui sera transformé en monnaie propre par leur établissement bancaire.

La société dirigée par ce monsieur Martin – mais est-ce son vrai nom, nous ne le saurons jamais – n’aura rien à craindre des services fiscaux espagnols puisque cet argent viendra d’établissements étrangers, français ou autres, réputés sérieux et honnêtes.

Françoise, elle-même, n’aura rien à déclarer au fisc puisqu’il s’agit de crédits de vacances, publiquement défiscalisés.. Le monsieur Martin insiste là-dessus et promet de rembourser les 770 € du transport en avion et les deux nuits d’hôtel. Si elle accepte de verser, à l’avance, les 19 000 €, elle recevra la somme totale dans les 30 jours.

Un véritable traquenard. Car elle ne verra jamais la somme promise, c’est sûr et certain. Monsieur Martin aura, lui, gagné sa journée.

50ansEspagne008Nous partons, la tête basse et le cœur en déroute. Françoise voudrait revoir l’appartement qu’elle a occupé à Fuengirola. Nous prenons le car qui nous conduit une dizaine de kilomètres plus loin.

Fuengirola est une des stations balnéaires de la Côte du Soleil, cette région idéale protégée des influences continentales par la Serrania de Ronda et la Sierra Nevada. Elle jouit d’un climat très favorisé avec des hivers doux et des étés chauds mais rafraîchis par la brise marine.

Hélas, hélas, ces trop grands avantages ont leurs néfastes contreparties : un déferlement de hordes touristiques à longueur d’année. Ce n’est pas  désolant comme à Almunecar car l’urbanisme est mieux conçu. Villas entourées de verdure, hôtels et résidences remarquablement équipés. Marbella, San Pedro de tara, Torremolinos sont devenues les symboles des plages de luxe que fréquentent les gens friqués.

Françoise ne parvient pas à retrouver la résidence qu’elle et Jean Louis n’ont pratiqué que 3 fois en 10 ans.  Je l’abandonne dans ses recherches pour trouver ombrage sous un parasol d’une terrasse d’hôtel où le jus d’orange est à 4€ et la bière pression au même prix.

La plage est noire de monde. Les baigneurs qui passent et repassent en traînant leurs tongs ont la même tête de cons que celle des estivants fatigués de la Grande Motte ou de St Jean Cap Ferrat. Finalement je dois avoir la même tête en fréquentant les mêmes lieux. C’est l’air cosmopolite qui veut çà !

Nous sommes rentrés en France  et Françoise a continué de payer, en livres ( encore une astuce pour échapper aux subtilités de l’euro) les frais d’entretien d’un appartement qu’elle n’occupe jamais.

Ah, si ! L’année suivante , elle a tenté un coup et a invité des amis et moi-même à passer une semaine dans un superbe logis, dans la même résidence, à Fuengirola. C’était en octobre et il y avait moins de monde. Nous avons visité Séville, Grenade, Ronda dans les meilleures conditions. Je ne vais pas recopier le Guide de Tourisme Espagne du bonhomme Michelin. C’était un très beau séjour , pour la première fois en Espagne. Je n’ai rien d’autre à ajouter car comme on sait, les gens heureux n’ont pas d’histoires…à raconter.