Accueil Mes nouvelles
Le Noël de la Marquise Imprimer Envoyer

La lune montait, glacée, derrière les hauts murs de briques noires , à la limite de la ville, teintant d’argent la   sinistre bâtisse. C’était une ancienne abbaye cistercienne devenue, au fil du temps, maison d’arrêt. L’homme jeta un regard, bref, à droite, à gauche. Personne, tout était calme. Normal, une nuit de Noël. Même les matons pensent à autre chose qu’à scruter l’ombre du haut de leurs miradors. Il était vingt heures !

Juché sur l’arête du mur, hérissé de barbelés et de tessons de bouteilles brisées, l’homme lança un dernier coup d’œil à la lumière jaunâtre qui, là-bas, sourdait d’une fenêtre à croisillons. Le poste de garde. Rien ne bougeait.

Un moment, l’homme demeura immobile, fasciné par la beauté de la nuit. Pas un nuage, rien que la lumière irréelle de la lune. Une belle nuit, la nuit de Noël. Une nuit d’évasion. D’un coup de rein, l’homme bascula en se protégeant les mains et la tête des barbelés. Il se laissa glisser jusqu’au sol par le drap noué à la ceinture. La brique râpeuse lui écorchait les ongles et lui brûlait les paumes.

Il ne sentait rien de ces écorchures. Ses pieds touchèrent le sol. Il poussa un soupir de soulagement. Etreint par une joie qui lui dilatait la poitrine, il but à longs traits l’air glacé qui lui entrait dans les poumons.

-- Libre, Me voilà libre !…

 
Les papillons d'hiver Imprimer Envoyer

Le ciel, gris et bas, pesait comme un couvercle sur les toits de tuiles rouges du quartier voisin qui se nommait « l’Entonnoir ». Le grand bâtiment austère regardait la plage où une brume grise rampait au ras des vagues.

L’Institut Calot rassemblait une centaine d’enfants en cure climatique ou en convalescence après des opérations chirurgicales orthopédiques. L’air de Berck sur Mer était- paraît-il – depuis un siècle, réputé pour son air iodé qui favorisait la guérison de tuberculoses osseuses et autres saloperies du même genre.

Ce jour là n’était pas un jour comme les autres. C’était le 24 décembre. Une rumeur s’amplifiait de salle en salle. Les filles comme les garçons ne tenaient plus en place. Dans quelques heures, Noël s’annoncerait.

-- Noël ! Noël ! mot magique

 
Les petits moutons Imprimer Envoyer

La prairie verte descendait doucement vers le ruisseau. Des petits moutons croquaient l’herbe tendre, à coups de dents rapides. L’essentiel de leur existence consistait à manger. Car celui qui ne mange pas ne grandit pas.

Les petits moutons, comme tous les êtres vivants sur la planète, comme les fleurs, les arbres, cherchaient à devenir grands. C’est la loi de la nature.

La nature est comme çà : elle veut, qu’une fois devenus grands, les uns et les autres redeviennent petits. C’est pourquoi, voit-on sur les routes ou dans les villes, des gens très vieux qui marchent, la tête penchée, le dos rond, la jambe incertaine comme s’ils se ratatinaient au fur et à mesure des années.

Un beau jour ils deviennent si minuscules qu’on ne les voit plus. Ils ont disparu de la surface de la terre. On les place dans des caveaux creusés dans des cimetières. Et l’on grave une plaque, dans le marbre ou dans le cuivre, pour indiquer qu’ils sont passés dans ce bas monde, un certain temps, comme le disait Fernand Raynaud.

Les petits moutons qui mangeaient l’herbe verte de la prairie ne faisaient pas que manger, la tête au ras du sol. Ils levaient les yeux et regardaient, de temps en temps, le ciel tout bleu qui s’étendait au-dessus d’eux , d’un bout à l’autre de l’horizon.

 
Poisson du bled Imprimer Envoyer

-- Ah ! bon dieu de bon dieu. Vivement qu’on se tire d’ici. J’en ai marre !

D’une chiquenaude, le 2ème classe Alfred Delbar renvoya en arrière son calot trempé de sueur. Il se releva en ahanant en portant une main compatissante à ses reins douloureux.

-- J’en ai encore pour deux ans dans ce bled. C’est pas possible d’avoir pareille scoumoune. J’aurais jamais dû rempiler.

Le légionnaire Delbar, en garnison au camp Paillard, à Agadir, dans les années 50 et dans le Sud-Marocain avait reçu de son adjudant l’importante mission d’élever une bordure de pierres autour des baraquements et de les peindre à la chaux vive.

Depuis le matin, il s’acquittait de sa tâche avec un zèle qui disparaissait au fil des heures. C’est vrai que le soleil tapait dur et que le blanc de la chaux faisait mal aux yeux. Surtout çà donnait soif.

--  Encore 706 jours au jus. Je tiendrai jamais jusque là.

Car on a beau s’appeler Alfred Delbar, être né du côté de Malakoff, s’être engagé dans la Légion Etrangère au titre de citoyen hongrois, avoir roulé sa bosse sous tous les Mahomets, de Deir er Zohr, Son Tay, Sidi bel Abbès et tutti quanti jusqu’à ce paradis d’Agadir, le 2ème classe par protection,  Alfred Delbar commençait à en avoir plus que marre de l’armée.

 
<< Début < Précédent 1 2 Suivant > Fin >>

Page 2 sur 2