Chapître 2 |
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Le téléphone sonneAlbert ne tarda pas à déclarer sa flamme à la jolie Berthe qui n'attendait que cela. Il est vrai que la situation l'exigeait. Le général de la Mourère venait en effet d'être nommé à Lille à la tête de la 2e Région militaire, celle qui veillait aux frontières de la Belgique.
Berthe et Angèle, par contre, s'en éloignaient. Non sans crainte car les liaisons n'étaient pas simples entre le grand Nord et leur département natal d'Eure-et-Loir. On envisageait bien, sans trop savoir comment, de converser à distance par les airs. Un physicien italien du nom de Marconi avait déjà réalisé en 1901 la première liaison par T.S.F. - en fait l'abréviation de la téléphonie sans fil - à travers l'Atlantique entre la Cornouailles et Terre Neuve. C'était sensationnel, beaucoup mieux que le télégraphe de l'abbé Chappe qui avait annoncé par signaux optiques sur la première ligne Paris-Lille la prise de Landrecies par les troupes de la République en juillet 1794. Il y avait bien aussi le téléphone mis en service en 1876 à Boston par Graham Bell. Paris avait même été la première ville d'Europe a être dotée d'un réseau urbain. Quant à la T.S.F c'était vraiment quelque chose de révolutionnaire. On parlait d'ailleurs beaucoup de Branly à ce moment-là. Physicien né à Amiens au milieu du siècle précédent, il avait quitté l'Université où il professait l'enseignement de la physique pour passer une thèse de doctorat… en médecine. « C'est un homme curieux », se plaisait-on à dire en se moquant un peu des inventions de ce penseur à lorgnons qui passait des heures et des heures à rechercher les causes et les effets des décharges électriques par « les rayons violets ». A Wimereux, au début du siècle il était parvenu à faire franchir des ondes sonores entre la France et la Grande-Bretagne grâce à son appareil radio conducteur qu'il avait appelé « cohéreur ». En fait c'était l'organe principal de cette fameuse invention de la télégraphie sans fil popularisée ensuite sous le nom de T.S.F. Branly obtint en 1903, avec un autre savant nommé Pierre Curie, le prix Osiris. Ce Pierre Curie allait faire parler de lui en traitant de substances radioactives. Il travaillait activement avec son épouse Marie qui avait obtenu un doctorat de sciences physiques pour sa thèse sur le radium. La radiothérapie envahit bientôt les hôpitaux avec son matériel encombrant. Une ère nouvelle s'annonçait pour la science. Surtout pour la santé des malades. Vivent les mariésLe mariage d'Albert et de Berthe eut lieu très simplement à Digny en Eure-et-Loir. Le témoin de Berthe était évidemment sa jeune sœur Angèle tandis qu'Albert avait préféré un camarade de régiment. Le cortège était arrivé à pied tandis que les cloches sonnaient à toute volée, les dames empêtrées dans l'étroitesse de leurs longues robes alors à la mode. Les capelines fleuries s'étaient mises au diapason du temps en ces premiers jours du printemps.
La famille Brailly n'avait pas osé s'aventurer si loin de l'autre côté de la Seine. Il aurait fallu s'embarquer deux jours à l'avance, prendre le train à Abbeville après être venu avec une carriole de Crécy-en-Ponthieu, puis changer de train à Amiens, une autre fois à Rouen. Ou bien passer par Paris, en changeant de gares et en prenant les omnibus à chevaux. C'était une expédition digne de celle de Livingstone, en Afrique, qui les avait tous effrayés. On l'aurait été à moins… -- La famille Brailly n'a jamais quitté le pays, avait simplement rappelé Albert. Nous irons tous la voir lorsque nous serons installés à Lille. Ca sera plus simple. D'ailleurs, ajoutait-il en s'adressant à sa jeune femme, elle te connaît déjà par mes lettres. Sûr qu'elle t'appréciera encore plus quand elle pourra te voir et t'embrasser. Berthe avait acquiescé. Elle faisait totalement confiance en son cher Albert, son jeune mari qui décidait avec autorité sans tyrannie. D'ailleurs elle ignorait tout du Nord dans lequel elle allait vivre désormais. Tout ce qu'elle en savait, c'était par” Germinal,”le roman d'Emile Zola qu'elle avait lu il n'y a pas si longtemps. Cette région lui faisait un peu peur. Elle se souvenait des premières pages du roman : « Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grand route(...). Dix kilomètres de pavés coupant tout droit à travers le champ de betteraves. Devant lui il ne voyait même pas le sol noir et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des heures de marais et de terres nues. » Pour une jeune femme, ce n'était pas très engageant. Le sang lui remontait au cœur. Allait-elle vivre là-bas le reste de sa vie ? Alors que le Paris 1900 avait un petit air tranquille sous ses allures de capitale. Juste avant de partir pour Lille, accompagnant le déménagement du général pour ses quartiers de la rue du faubourg de Roubaix, Berthe et Angèle s'étaient promenées une dernière fois dans le Paris de cette époque : Passy, Montmartre, Belleville étaient encore des villages. Les chevaux s'abreuvaient dans la Seine. Les petits métiers donnaient de la voix dans tous les quartiers. Sur les pelouses du jardin du Luxembourg, on contait fleurette et des bambins en costume marin gambadaient en échappant à la surveillance des bonnes qui échangeaient des confidences sur leurs amours éphémères. Pourtant, en arrivant pour la première fois dans la capitale des Flandres, toutes leurs craintes se dissipèrent. L'hôtel de commandement de la 2e Région militaire était une grande bâtisse de pierres grises, dissimulée aux regards des passants par un haut mur et une double porte de bois massive où veillaient, jour et nuit, deux sentinelles. Le jeune ménage avait reçu comme logement un petit deux pièces au second étage, sans grande commodité, mais où il se sentait seul et à l'abri. C'était l'essentiel. Angèle se retrouvait, elle, dans une étroite chambre au-dessus de la cuisine, sur l'arrière du bâtiment. Elle se jugeait exilée. Pour autant la tâche qu'elle remplissait, ne lui laissait guère le temps de s'appesantir sur ses malheurs de jeune cuisinière. Elle espérait, ingénument, qu'un destin aussi favorable que celui de sa sœur lui sourirait sous l'apparence d'un jeune garçon appelé sous l'uniforme. Cela ne l'empêchait pas d'accompagner le jeune ménage dans ses promenades et de découvrir la capitale des Flandres. -- C'est vraiment une grande et belle ville, constatait Albert Brailly en marchant d'un pas égal pour rester à la hauteur des deux jeunes femmes qui l'escortaient. Nous sommes très près de la Belgique. On pourra y faire quelques escapades. Et pas très loin de la côte. On pourra profiter des bains de mer. Albert, moustachu comme l'étaient la plupart des hommes de cette époque, (ce qui leur donnait, pensaient-ils, une apparence plus virile), voulait toujours aller plus loin, découvrir d'autres horizons, expérimenter d'autres choses. C'était un garçon curieux de nature. La capitale des FlandresIl était vrai que Lille se développait à l'extrémité nord du pays de France, à moins de 20 km de la frontière belge et à 75 km de la mer du Nord. Distante de 230 km de Paris par la route et à l'époque de 258 km par le chemin de fer, la capitale des Flandres, comme on l'appelait pompeusement, se trouvait placée sensiblement au centre de gravité d'un triangle formé par Londres, Paris et la région de la Ruhr, c'est-à-dire d'une région à la fois la plus peuplée et la plus active du monde. Berthe, qui comme toutes les femmes voulait connaître ce qui l'entourait, questionnait sans cesse sa sœur Angèle beaucoup mieux informée qu'elle. Son célibat lui donnait l'occasion d'engager la conversation avec tel ou tel des jeunes sous-officiers qui tournaient autour d'elle. N'était ce point pour elle une façon comme une autre de lier connaissance. Et elle ne s'en privait pas. -- Oui, nous sommes à Lille, dans la plaine des Flandres expliquait Angèle. Altitude comprise entre 18 m 50 et 38 m. Il n'y a pas de quoi attraper le vertige. On peut voir de loin cependant les premières « montagnes ». Elle disait « montagnes » pour se moquer en évoquant le mont des Cats ou le mont Cassel qui n'apparaissaient qu'à partir de Bailleul. Ces monts ne dépassaient pas 200 mètres de haut. Effectivement, d'où que l'on sorte de Lille, on voyait s'étendre de larges horizons, une terre fouillée et retournée depuis des siècles de labeur, couverte d'un manteau de cultures variées et dépouillée pratiquement de bois et de forêts, c'est-à-dire des charmes de la nature primitive -- C'est un peu dommage, regrettait Berthe qui évoquait avec émotion les paysages bocagers de son enfance. Elle venait d'échapper à l'ambiance survoltée de Paris. Mais elle n'avait pas oublié pour autant ce qu'elle avait respiré dans son village natal, cet air libre qui sent l'eau et les feuilles dans une solitude emplie de bruits champêtres et de cloches. C'est là que, toute petite, elle avait découvert la chair éclatante des fraises couchées toutes nues dans la rosée et sur les branches, les merles en habit noir et au bec jaune, réglant avec force cris une querelle d'amour ou d'honneur dans les taillis. Ici, la ville avait pris naissance au sein d'un ensemble de marécages formés au contact de la voûte crayeuse du Mélantois, du limon du Ferrain et des terrains argileux des Weppes. -- Il paraît même, ajoutait Angèle que les marais de la Deûle, assez propices aux cultures maraîchères avaient été des lieux de refuge habités de longue date. On avait même découvert des débris de « palafittes » remontant à l'époque du néolithique. -- Les palafittes, lui avait doctement appris un jeune sous-lieutenant, sont des constructions lacustres bâties sur pilotis. Angèle se faisait un plaisir d'écouter et de tout retenir pendant ces promenades, en tout bien tout honneur. Et Lille se faisait souriante pour la jeune cuisinière avide d'en savoir toujours plus. Il est vrai qu'en ce temps-là Lille rayonnait des feux de la richesse industrielle et commerciale. Elle apparaissait comme le pôle d'attraction d'une région où le dynamisme séculaire, la puissance de production, la forte natalité et la vitalité agricole faisaient l'envie de maintes autres provinces françaises. Sur la place d'Armes, qu'on n'appelait pas encore la Grand Place et encore moins la place du général de Gaulle, au centre de la cité, devant la Grand Garde et son escalier majestueux s'élevait la colonne obsidionale au sommet de laquelle se dressait la statue symbolique, la Déesse, érigée en souvenir de la défense héroïque des Lillois contre les coalisés autrichiens en 1792. Derrière s'étageait la vieille Bourse, un des plus curieux monuments de la Renaissance flamande avec ses cariatides et ses guirlandes de pierre se détachant sur la brique. Sous le signe du Mercure ailé qui s'élançait au faîte de son clocheton se tenaient les assises des drapiers et des négociants fort actifs et fort entreprenants dans les affaires. Place de la République, à quelques centaines de mètres se faisaient face deux imposants monuments : la Préfecture de style néo-classique inaugurée sous le second Empire et le musée des beaux-arts édifié dans le plus pur esprit de cette époque. Au cœur de la CitadelleBerthe et son jeune mari s'étaient aventurés également du côté de la reine des citadelles, ce chef-d'œuvre militaire construit sous la direction du marquis de Vauban assisté par le chevalier de Montgivrauts et par l'architecte ingénieur lillois Simon Vollant dans les années 1670. Pourquoi cette citadelle ? Albert, natif de Picardie, l'ignorait. Il ne savait pas que Richelieu cherchait à donner à la France des frontières naturelles, c'est à dire les étirer du Rhin, issu de Suisse jusqu'à Rotterdam où il se jette dans la mer du Nord. Louis XIV réussit ce plan à l'Est, en conquérant Strasbourg. Il échoua au Nord, ne parvenant pas à s'emparer des Pays-Bas autrichiens. Alors, pour garder au moins ce qu'il avait conquis; il fit construire par son ingénieur militaire, ces incroyables places-fortes de briques et de pierres, de Dunkerque à Sedan, pour défendre le royaume de France contre ces éternels ennemis du Nord qui étaient, au fil du temps, soit bourguignons, soit espagnols, soit autrichiens mais toujours hollandais. Depuis le traité d'Aix la Chapelle; en juin 1668, Lille était rentré dans le giron de la France pour le rester désormais, hormis les périodes d'occupation étrangère, évidemment. En amoureux, Berthe et Albert revenaient vers le centre ville par le jardin Vauban aménagé à la fin du siècle dernier, dans le style des espaces verts à dominante rustique. Avec ses pièces d'eau, sa grotte d'où jaillissait une somptueuse cascade, ce jardin commencé sur les plans de l'architecte paysagiste Barillet-Deschamp, jardinier en chef de la ville de Paris, attirait de très nombreux promeneurs à toutes les époques de l'année. A Lille, tout émerveillait Berthe et Albert. La vie s'offrait à eux comme une carte postale illustrée sur laquelle des mots s'inscrivaient en lettres givrées : le début d'un rêve. Celui-ci s'annonçait pour le jeune couple par l'annonce d'une prochaine naissance.
C'était le temps où l'on croyait à la science sans limites, aux progrès continus, aux colonies inépuisables, au socialisme sans frontières. Précisément, en mars 1902, les socialistes réformateurs fondaient autour de Jean Jaurès le Parti socialiste français, ancêtre de la S.F.I.O qui se déclarait officiellement en avril 1905. Dans les villes tout devenait docks, industries, laboratoires, fabriques de ciment et d'acier. On ne doutait plus de rien. Les réclames, comme on les appelait alors, présentaient dans les journaux, les nouveaux corsets « qui donnaient la souplesse de l'Orientale avec la grâce de la Française ». Jamais on n'aurait osé, auparavant, afficher ces froufrous et ces flanelles, aux yeux des honnêtes gens. Ceux-ci n'avaient d'ailleurs pas réagi à l'annonce de la mort d'Emile Zola, le 29 septembre 1902. Ils considéraient pour la plupart l'écrivain comme un suppôt du diable, bravant la décence dans ses romans naturalistes où le réalisme social le disputait aux descriptions les plus osées. On fit de grandes funérailles au romancier dont les cendres furent, quelques années plus tard, transférées au Panthéon. On avait eu aussi, à l'époque, de vagues échos de la mutinerie des marins du cuirassé Potemkine à Odessa tandis que s'achevait la guerre russo-japonaise qui avait débuté l'année précédente par l'attaque de Port Arthur (Chine). La flotte russe avait été anéantie sans préavis. C'était un précédent au désastre de Pearl Harbour où, dans les mêmes conditions, les Américains, près de 40 ans plus tard, subirent le même sort. La catastrophe des mines de CourrièresCatastrophe également, mais cette fois dans le nord de la France en mars 1906 quand éclate un coup de grisou dans les entrailles de la mine à Courrières. 1 099 mineurs périssent dans des conditions épouvantables A 6 heures 30 tout le personnel est à pied d'œuvre au fond de la mine. Soudain une violente explosion secoue les installations des fosses 3 et 4. Des colonnes de fumée sortent des deux puits… Tout le monde a compris. Une catastrophe s'est produite au fond, sans doute une coup de grisou provoqué par l'incendie. Plusieurs équipes de sauveteurs descendent dans des tonneaux suspendus à des câbles mais un barrage de débris de cuvelage les empêche d'aller au-delà de 170 m au puits n°3. A la fosse 4 des émanations de gaz obligent d'autres sauveteurs à rebrousser chemin. Un agent de maîtrise parti à la recherche de son fils est même tombé, foudroyé par l'oxyde de carbone après avoir franchi un éboulement. Le délégué mineur Ricq prend une voie détournée et réussit à ramener 17 ouvriers. Un véritable calvaire commence pour des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants de la région minière du Pas-de-Calais. Certaines familles comptent jusqu'à 5 personnes parmi le personnel travaillant au fond. .Lors des obsèques, la foule transie sous les rafales de neige, écoute les discours qui se font de plus en plus violents, dénonçant le capitalisme et l'exploitation de la classe ouvrière. Les incidents qui se produisent alors annoncent des drames sur le plan social et une grève de protestation se déclenche. Au 20e jour de la catastrophe, une nouvelle stupéfiante se répand : il y a encore des rescapés. Un espoir fou s'empare de centaines de familles. Hélas ! ils ne seront que 13 à revoir le jour. Pendant des heures et des heures ils ont marché à tâtons dans les galeries, cherchant une issue, se nourrissant d'avoine et de viande de cheval qu'ils ont abattu pour survivre. Comme boisson, l'eau qui suinte des parois et parfois leur propre urine. Effroyable !! Cinq jours plus tard, un dernier rescapé revient à la surface. Les familles des victimes s'en prennent à ceux qui ont décidé d'arrêter les recherches. Les incidents se multiplient avec la troupe qui protège les ouvriers se rendant au travail. Car, à présent, 28 000 mineurs se sont mis en grève. Ils seront bientôt 50.000 à déposer leurs outils et leurs barrettes sur le carreau des mines du Nord et du Pas de Calais. Le mouvement durera 52 jours et revendique à présent huit heures de travail, huit heures de repos et huit francs par jour. « La bourgeoisie tremble , dit un parlementaire. La voix de Jaurès s'élève à l'Assemblée. Le gouvernement doit céder. » Clémenceau, ministre de l'Intérieur, venu assister aux funérailles d'un officier tué à Lens par un émeutier, recommande la rigueur. Les patrons des Houillères consentent à entamer des négociations avec les délégations syndicales et la grève s'achève au mois de mai. Néanmoins le bilan se révèle tragique dans son ampleur : Courrières est la catastrophe la plus importante qui ait eu lieu dans le monde : 1 099 morts dont 16 sauveteurs. Chargé d'étudier les causes du sinistre, l'ingénieur Taffanel, de Lens, a analysé l'origine de l'explosion : le grisou, du méthane presque pur a explosé d'abord et soulevant un nuage de poussière de charbon a provoqué un incendie en chaîne jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de combustible. Et ce phénomène s'est propagé sur des dizaines de kilomètres dans les galeries communiquant entre elles. D'autres pensent que ce sont les gaz d'incendie comprimés dans la galerie murée qui ont, sous la pression, explosé. La boule de feu initiale se nourrissant sur son passage de milliards de particules de charbon en suspension s'est amplifiée et propagée le long des 200 km de la mine. L'oxyde de carbone dégagé par cette combustion aurait ensuite asphyxié les survivants de ce formidable incendie. L'émotion provoquée par le sinistre des mines de Courrières engendrera un ressentiment dans la population d'autant que la situation économique n'est guère florissante : la livre de beurre est passée de 1,20 F à 2,50 F et le quarteron d'œufs de 1,86 F à 5 F. La rancœur des communautés minières et paysannes atteint son paroxysme. Va t-on vers une nouvelle révolution ? Blériot traverse la Manche1910 : Voilà Léa maintenant âgée de huit ans. C'est une mignonne petite fille, toute en longueur. Elle a la taille élancée et des grâces onduleuses alors qu'elle n'est pas encore adolescente. Elle respire la santé avec l'éclat blond de sa chevelure qui jette des reflets dorés. Comme toute bonne normande, de par sa mère, elle doit avoir des ascendances viking. Elle vient d'applaudir deux exploits dont ses parents lui ont parlé : d'abord celui de l'Américain Robert Edwin Peary qui a atteint le pôle Nord et ensuite celui du Français Louis Blériot qui vient de réaliser la première traversée de la Manche en monoplan, reliant Calais à North Foreland Meadow en moins de 40 minutes.
C'était à l'aube du dimanche 25 juillet 1909. Industriel aisé, il avait mis sa fabrique de phares automobiles à deux doigts de la faillite en mettant au point des appareils qui devaient voler, mais qui s'écrasaient les uns après les autres : 32 chutes. 32 avions brisés. Le Blériot XI réussira. Il décolle à 4 heures 35 du matin. « Je vais, je vais tranquillement, sans aucune émotion, sans impression réelle. Il me semble être en ballon. L'absence de tout vent me permet de ne faire agir aucune commande de gouvernail ou de gauchissement. Si je pouvais bloquer les commandes je pourrais mettre les deux mains dans les poches (...). Pendant une dizaine de minutes, je suis resté seul, isolé, perdu au milieu de la mer immense, ne voyant aucun point à l'horizon, n'apercevant aucun bateau. Ce calme, troublé seulement par le bruit du moteur, fut un charme dangereux dont je me rendais bien compte. Aussi j'avais les yeux fixés sur le distributeur d'huile et le niveau de consommation d'essence. Ces dix minutes me parurent longues. Vraiment je fus heureux d'apercevoir une ligne grise se détacher de la mer et grossir à vue d'œil. Nul doute c'était la côte anglaise. J'étais presque sauvé. Je me dirige vers cette montagne blanche mais le vent et la brume me prennent (...). Je me dirige vers les falaises. Cependant je ne vois pas Douvres. Ah ! diable où suis-je donc ? Trois bateaux se présentent à ma vue. Ils semblent converger vers un port. Je les suis tranquillement. Des marins m'envoient des hourrah enthousiastes. Pour un peu, je leur demanderai la route de Douvres. Hélas ! Je ne parle pas anglais. » L'avion de Blériot passe au-dessus du château de Douvres. La réussite ne fait plus de doute à condition de ne pas rater le final : l'atterrissage A 5 heures 12, d'une façon peu orthodoxe, le Blériot XI se pose sur du gazon alors qu'un journaliste du « Matin » agite frénétiquement un drapeau tricolore. Le détroit a été vaincu à la vitesse de 60 km/h et à une altitude moyenne de 80 à 100 mètres. Un record : 37 km en 37 minutes par un héros de 37 ans. Au retour, à l'hôtel, Blériot réclame un formulaire télégraphique et envoie à son père à Cambrai ces quelques mots : « Ai réussi traversée. Louis ». Difficile d'être plus concis dans l'exaltation d'un événement qui marque une date à jamais mémorable dans l'histoire de l'aéronautique. Un autre événement allait bouleverser l'opinion publique mais dans un tout autre sens : le 16 avril 1912 le naufrage du « Titanic » au large de Terre-Neuve. Par son nom, par ses proportions, « le Titanic » apparaissait comme le symbole de ces années conquérantes : ce géant des mers, ville flottante, mesurait 270 m de long. 29 chaudières animaient ses 46 000 tonnes mues par trois hélices de sept mètres. Pour son voyage inaugural - car c'était sa première traversée vers New York - il cherchait à en imposer. Deux mille hublots, quatre ascenseurs, un salon avec une tapisserie d'Aubusson, une salle à manger vieux rose, un café parisien, une piscine et un gymnase : c'était véritablement le fleuron de la « White Star » qui emportait dans ses cabines plus de 2 000 personnes, la fine fleur de la société anglo-saxonne. Des gens riches qui « pesaient » des millions de francs de l'époque et qui s'enorgueillissaient de traverser l'Atlantique sur l'un des deux plus grands et plus beaux navires du monde. Il appareille le 10 avril en grande pompe pour une croisière sans histoires autres que mondaines : salons, fumoirs et bars ne désemplissent pas alors que les bals succèdent aux réceptions. Partout le capitaine Smith, maître à bord après Dieu, fait l'éloge de son bâtiment, chef-d'œuvre de l'architecture navale où des compartiments étanches assurent une sécurité sans faille. Les parents de Léa découvrent les détails de la catastrophe rapportés par les survivants. Comme tous leurs contemporains, ils ne pouvaient en croire leurs yeux. Comment un bâtiment conçu pour être insubmersible pouvait-il disparaître dans les océans ? Ce n'était pas possible et pourtant c'était vrai ! Alfred Walter, reporter à New York, câble, en effet, le 19 avril : « Deux faits sont à retenir : le Titanic marchait à bonne vitesse lors de la collision avec l'iceberg. Il était 22 heures 15 lorsque la rencontre eut lieu, non par l'avant, mais par le travers. Tous ceux qui étaient encore debout à cette heure là se précipitèrent sur le pont. Mais personne ne se rend compte du désastre. Chacun était persuadé que ce géant si fort, si solidement construit ne pouvait couler. Cette confiance dans la résistance invincible du paquebot était telle que plusieurs canots quittèrent le bord sans avoir le nombre de passagers convenus. D'ailleurs les officiers eux-mêmes rassuraient les passagers. Et comme il y avait bal à bord, l'orchestre continuait à jouer ses airs gais et joyeux. Pourtant une demi-heure plus tard, on commence à prendre conscience du péril car le bateau s'incline de plus en plus fortement sur l'avant. Le capitaine donna alors l'ordre d'évacuer le navire et fit distribuer les ceintures de sauvetage. Les femmes et les enfants embarquèrent dans des canots tandis que d'autres hommes, moins courageux et moins disciplinés tentaient de se glisser parmi les passagers prioritaires. Ils furent abattus à coups de revolver ou repoussés durement. » Un autre témoin, M. Lawrence Boesley relate : « On me dit : vous sautez. La nuit était belle, étoilée mais sans lune. A une certaine distance le « Titanic » paraissait énorme. Les salons étaient encore étincelants de lumière. Vers deux heures, le paquebot se leva de toute sa hauteur, verticalement. Les lumières alors s'éteignirent et les machines frémirent à travers le vaisseau avec un bruit qu'on aurait pu entendre à plusieurs miles de là. Le « Titanic » resta dans la position debout pendant cinq minutes, droit vers le ciel, sans bouger. Puis dans une plongée oblique il disparut sous l'eau. » Le son le plus épouvantable que l'oreille de l'homme ait jamais entendue retentit alors. C'étaient les cris de centaines de passagers qui appelaient dans l'espoir d'être sauvés. Ainsi moururent ceux-là et les membres de l'équipage de même que les musiciens, pleins de bravoure qui jusqu'au dernier moment jouèrent pour soutenir le courage de tous. Quand la fin fut proche, ils exécutèrent le cantique : « Plus près de toi mon Dieu, plus près de Toi ». Parmi ces héros se trouvait un Français, originaire de Lille, M. Bricoux. Le capitaine Smith avant d'être balayé du poste où le retenaient les devoirs de sa charge, hurlait dans son mégaphone : « Conduisez-vous comme des hommes ». On le vit même, poussant ceux qui refusaient de plonger dans l'eau glacée mais n'acceptant pas de se sauver lui-même. Trois heures vingt minutes après la collision avec l'iceberg le « Titanic » disparaissait totalement dans l'Atlantique. Cette tragédie coûta la vie à 1 517 personnes tandis que les 711 rescapés entraient dans la légende de ce drame. Léa allait maintenant sur ses 10 ans. Elle avait vaguement entendu parler d'une canonnière allemande appelée « Panther » qui avait mouillé dans le port d'Agadir, au Maroc, et menaçait de faire parler le canon. C'était en juillet 1911. Mais toute son attention se portait sur un jeune garçon, de plus de deux ans son aîné, qui se prénommait Georges et qui fréquentait l'école Saint Stanislas, de la rue Saint-Omer, à quelques centaines de mètres de sa propre école. C'était un garçon nerveux et remuant, qui savait raconter des histoires, qui en inventait au besoin, et qui n'omettait jamais de se donner le beau rôle. Tout le monde l'appelait Jo.
Albert, qui avait terminé son temps de service réglementaire, avait trouvé un emploi aux Magasins généraux de Lille, élevés sur les 400 mètres de terrain laissés libres par la destruction des anciennes fortifications. Dans ces bâtiments, soigneusement surveillés car on y craignait l'incendie, étaient entreposés toutes les marchandises qui arrivaient par voie d'eau, sur des péniches, - la Deûle était toute proche et bien canalisée - et par le chemin de fer, une ligne à voie unique ayant occupé l'ancien tracé des « fortifs ». Sur quatre étages se superposaient les sacs de sucre cristallisé, les balles de laine ou de coton, les sacs de soude ou de produits chimiques nécessaires au blanchiment des toiles ou pour les fabriques de teinture. Et aussi des milliers de bouteilles d'apéritifs qui se nommaient Byrrh, Cinzano, Suze ou Clacquesin. Toute la journée - et même la nuit lorsque les circonstances l'exigeaient - les lieux bruissaient d'une vie intense et sans répit. Malgré l'ordre apparent, commandé par la direction, on butait dans l'immense cour et dans les entrepôts sur des tas de choses, des rails, des paniers, des cordages et des filins d'acier, des caisses de toutes tailles alors que des poulies grinçaient sans arrêt dans une stridence aiguë et que les wagons de marchandises couinaient en passant sur les aiguillages. Après Léa, l'aînée, qui suivait ce spectacle sans jamais se lasser, deux garçons étaient venus agrandir le cercle de famille : Marcel était né en 1907 et Augustin en 1910. Ce qui n'empêchait nullement leur maman devenue concierge des « Magasins généraux », de veiller au grain pour que tout reste en ordre tout en élevant parfaitement ses trois enfants Berthe était une femme de caractère. Elle savait le prouver à l'occasion, même s'il s'agissait d'un contremaître ou d'un chef d'équipe : « Il faut une place pour chaque chose et chaque chose doit être à sa place », faisait-elle valoir en conclusion de ses observations. Et elle tournait les talons. Il n'y avait pas à répliquer. Toutes les femmes de ce temps-là n'étaient pas bâties sur le modèle de Berthe Brailly née Quérin. Beaucoup restaient soumises. D'abord, elles n'avaient pas le droit de vote. Elles s'occupaient du ménage, de leurs enfants, tricotaient ou brodaient, un point c'est tout ! Seuls, les hommes avaient le droit de décider, tous les droits. Ils n'escomptaient pas les abandonner. D'autant qu'à la fin du 19ème siècle, la région vivait une remarquable expansion industrielle qui n'avait aucun équivalent en France. « Lyon ou Saint Etienne, le Creusot ou Mulhouse sont des îlots industriels dans des océans ruraux, des campagnes immuables où paysans et aristocrates, artisans et rentiers, perpétuent les traditions d'une France éternelle, analyse une revue économique. Le Nord Pas de Calais, lui, n'est qu'une immense ville-usine où règnent le fer, le charbon et le textile. Les manufacturiers devenus bourgeois,ouvriers et mineurs devenus prolétaires s'activent de Calais à Maubeuge, de Roubaix à Lens, pendant que les paysans devenus agriculteurs fabriquent la matière première : du sucre, de la chicorée ou de la bière. Tout cela pour nourrir, habiller, chauffer, transporter les Français. C'est donc une immense prospérité qui s'affiche avec ces maîtres des forges, ces empereurs de la laine et ces 130 compagnies minières inscrites à la corbeille de la Bourse de Lille. » Le Nord est le premier département de France du point de vue agricole et son sol est le mieux cultivé de tout le pays. Le Pas de Calais se place tout près de son voisin et il développe de nouvelles méthodes de culture. Certes ce sont encore des régions de petite culture. Les deux tiers de ces exploitations sont cultivées directement par leurs propriétaires et le reste par des fermiers. Côté industriel, le département du Nord est, incontestablement, le premier de France. Les mines de houille fournissent plus de 6 millions de tonnes de combustible. Les établissements métallurgiques sont en plein essor et plus de 25 000 personnes travaillent à filer la laine, le coton, le lin, le jute. Le Pas de Calais, de ce point de vue, n'est pas en reste. Ouvert en 1847, le bassin houiller occupe 61 948 hectares et s'étire sur 60 kilomètres de long et 10 kilomètres de large. 50 000 personnes travaillent dans les 17 concessions qui doublent leur production tous les 10 ans. C'est extraordinaire. A quoi s'ajoutent 600 carrières qui extraient du marbre et des milliers de tonnes de calcaires pour les cimenteries. Les briqueteries sont nombreuses et outre les verreries comme à Arques, près de Saint Omer, on peut souligner la beauté des productions faïencières de Desvres connues de l'Europe entière. En Europe monte la tensionCependant, la tension monte un peu partout. Nul n'aurait pu imaginer que la quiétude d'une existence harmonieuse, paisible, et patiemment façonnée au fil des ans, depuis le début du siècle, était en train de connaître ses dernières heures de tranquillité. Il y avait bien depuis 1871, entre la France et l'Allemagne, le contentieux de l'annexion de l'Alsace Lorraine, une blessure qui saignait toujours au cœur des Français et qui poussait les militaires à regarder sans cesse vers la ligne bleue des Vosges. Autour des deux provinces annexées se cristallisait une haine ancestrale. Mais d'autres antagonismes, issus de nationalismes exacerbés s'éveillaient ailleurs. Les passions s'exaspèrent jusqu'au coup de feu tiré par un terroriste, le 28 juin1914, à Sarajevo, sur l'archiduc héritier d'Autriche François-Ferdinand et son épouse la duchesse de Hohenberg. Deux morts qui allaient en déclencher des millions d'autres, pendant plus de quatre ans. Tout est en place pour la plus cruelle des tragédies. Le 28 juillet 1914, l'Autriche déclare la guerre à la Serbie et bombarde Belgrade. Le 1er août l'Allemagne déclare la guerre à la Russie tandis que la veille, à Paris, Jean Jaurès est abattu au café du Croissant par un déséquilibré, Raoul Villain. Depuis des semaines, le leader socialiste luttait de toutes ses forces et rêvait de voir les prolétaires européens se dresser contre le massacre en refusant, de part et d'autre du Rhin, d'empoigner leurs fusils. Peine perdue. Espoir insensé. Les forces obscures sont trop puissantes. Six jours vont faire basculer l'Europe dans le cauchemar. « L'histoire de ces six jours est exemplaire, estime un témoin. Elle montre comment des hommes dont aucun ne voulait vraiment la guerre, ont pu, dans l'affolement, perdre leur emprise sur des événements qui se précipitent à un rythme sans cesse accéléré. Ils croyaient régner en maîtres sur la politique alors qu'ils n'étaient que les jouets d'un destin aveugle et cruel. (...). Tous pensaient que cette guerre allait être une guerre comme celles du XIXe siècle « une rapide empoignade ». Un dogme était admis par tous : la guerre serait courte. La grande tragédie allait durer plus de quatre longues années. Jamais la vie humaine ne sera aussi méprisée car jamais l'art militaire ne descendra aussi bas. » D'un côté comme de l'autre, les mobilisables avaient de 17 à 30 ans. « Ils portaient le cheveu court et la moustache. Beaucoup avaient les mains et la nuque parcheminées du laboureur, les doigts usés de l'ouvrier, les ongles cassés du tourneur ou du mécanicien. Il y eut soudainement des poilus. Autant de voyageurs sans bagages qui durent quitter leurs familles, leurs fiancées, leurs femmes et leurs enfants. Laisser là le bureau, l'établi, le tour, le pétrin, la boutique ou l'étable. Revêtir l'uniforme mal coupé, le pantalon rouge, le képi cabossé. Endosser le barda trop lourd et chausser les godillots cloutés.(...). » Des milliers de soldats allemands, français, anglais, autrichiens, russes, turcs, italiens, australiens, chinois, hindous, africains, serbes, roumains et bulgares seront sacrifiés sur les champs de bataille pour des résultats médiocres. Jamais, aussi, les vibrantes envolées patriotiques n'auront si bien dissimulé l'appétit de puissance des « grands chefs » et mis en valeur le nationalisme cocardier qui habitait les hommes politiques d'alors. Personne n'a compris à l'époque, que la Grande Guerre - puisque tel était désormais son nom - était pour l'Europe naissante, un véritable suicide, une stupide guerre civile qui allait coûter la vie à plus de 10 millions d'hommes et causer des blessures à une vingtaine de millions d'autres! En France sur 8 millions de mobilisés entre 1914 et 1918, plus de 2 millions de jeunes hommes ne revirent jamais le clocher de leur village natal ou la mairie de leur cité. Leurs noms seront gravés dans la pierre grise des monuments aux morts, longues listes de noms et de prénoms qui rappellent le souvenir d'une France dont les campagnes étaient si peuplées. Georges Havet, haut de ses 14 ans, suit les événements avec une surprise de plus en plus terrifiée. Il est orphelin de père. Eugène, l'artisan ébéniste a vu, en effet, son atelier dévasté par un incendie, un soir de novembre 1910. Aidé des sapeurs-pompiers il a tout fait pour sauver ce qui pouvait l'être, écartant les bidons de vernis et les peintures toutes prêtes à exploser, jetant planches et madriers par les étroites fenêtres du rez-de-chaussée. Inondé de sueur, il a pris un « chaud et froid » comme on appelait alors les pneumonies. Quinze jours plus tard on le portait en terre au cimetière de l'Est. Clotilde restait jeune veuve avec deux enfants, Georges et Henri le cadet qui allait sur ses 8 ans. Elle décida de reprendre un petit commerce, également dans le quartier Vauban, pour survivre tant bien que mal. Elle tiendra sa boutique pendant plus de 20 ans. La vie n'était pas facile pour cette classe ouvrière et artisanale juste avant 1914. On dit que toutes les familles recèlent un cadavre dans leurs placards. Aussi généreuse, aussi ouverte que beaucoup d'autres, la famille Havet, sans son chef, allait connaître l'ingratitude et la rancœur. Eugène n'avait pas engrangé beaucoup d'économies durant son travail d'artisan. Clotilde, à 32 ans n'eut d'autre ressource que de faire appel à la parentèle.
Levée à 6 heures, été comme hiver, Clotilde se lavait dans une bassine émaillée après avoir fait chauffer l'eau de la pompe à bras. Ayant bu son café, elle ouvrait les volets jaune caca d'oie – pourquoi cette couleur affreuse ? se demandait Jo quand il partait pour l'école – et attendait le client. Ils ne tardaient pas. -- C'est y que vous auriez une pinte de pétrole, demandait une vieille femme aux cheveux gris. On ne vot plus grammint clair à nos maisons (c'était du patois cht'i). Quelques minutes plus tard, une autre cliente : -- Je viens chercher une gourde, une comme ma mère. (Elle voulait dire comme ma mère en avait acheté une il y a un mois.) C'était un bidon de fer –blanc, enveloppé de tissu épais qui gardait tiède le café bu au goulot par les ouvriers tisseurs qui travaillaient au « mouillé ». Ces malheureux vivaient en permanence dans la chaleur et l'humidité, nécessaires au retordage du coton. Sans ces conditions, le fil devenait sec et cassait alors qu'il se bobinait à toute vitesse. Toute la journée, Clotilde allait et venait dans son magasin, fouillant dans la pièce arrière au fur et à mesure des demandes des clients. Avait-elle le temps d'habiller ses mômes, qu'il lui fallait peser un cent de clous, trouver des charnières à la dimension précise, peser une livre de savon noir ou débiter de l'huile, du pétrole, de l'alcali, (c'était l'ammoniaque) ou de l'essence de térébenthine. Un tas de substances aqueuses, grasses ou acides, dangereuses à manipuler. Elle n'arrêtait pas de la journée. Quand les enfants revenaient de l'école, le dîner (c'est le déjeuner pour le reste de la France mais dans le Nord on dîne le midi et on soupe le soir) n'était pas prêt. Ou il était brûlé parce que Clotilde n'avait pas eu le temps de le surveiller. C'est un peu caramélisé, constatait Jo, dépité. Il y a même du charbon sur les bords, regrettait Henri. Non, rétorquait sa mère. Pas du charbon, c'est gratiné sur le dessus. Mais le dessous doit être bon. Vous n'allez tout de même pas faire les difficiles. Henri acceptait tout de bonne grâce, regardait sa maman se démener, avec adoration et tentait de se rendre utile malgré sa petite taille et ses sept ans. Jo était plutôt du genre rouspéteur et estimait avoir bien travaillé à l'école pour n'avoir qu'à mettre les pieds sous la table et qu'on remplisse son assiette. Il avait pris la mauvaise habitude de se saisir d'un livre, une histoire d'Indiens à la Fenimore Cooper ou un récit de chevalerie et de le poser contre son verre. En mangeant ses pâtes, il dévorait son roman d'aventures. Clotilde laissait faire. Elle estimait que son fils aîné ne perdait pas de temps pour s'instruire, elle, qui aurait tant voulu poursuivre l'école. Elle avait du la quitter à 12 ans, pour entrer à l'ouvroir, chez les bonnes sœurs, apprendre à coudre et à broder. Comme on le sait, le seul avenir pour les femmes de ce temps là se résumait dans le slogan allemand : Kirche, Kinder, Küchen. D'abord bonnes paroissiennes à l'église (Kirche) puis bonnes mères pour élever de bons enfants (Kinder) et habiles cuisinières pour satisfaire le mari et la nichée (Küchen : cuisine). Ensuite elles entraient en « fabrique » c'est à dire qu'elles ouvraient 10 heures par jour dans les filatures, les tissages et les retorderies. On y travaillait la laine, le coton, le lin et même le chanvre qui rouissait dans la rivière la Lys ou dans l'Yser en répandant une odeur épouvantable. A l'âge de 16 ans, Clotilde avait préféré « se mettre en service « pour éviter l'atelier ou la fabrique. Elle avait quitté sa famille, avec sa sœur Louise, pour se placer en France dans une grande famille lilloise. Elle avait oublié Tournai, les grandes carrières de craie où s'échinait son père, le « blan Zidore », parce qu'il se prénommait Isidore et qu'il était blond comme les blés. Elle se rappelait souvent, avec émotion, la vie en Belgique, sa maman qui s'appelait Marie, ses trois frères, les soirées autour de l'âtre, les moments de liesse, durant les fêtes locales où l'on sortait « les Géants » dans les sonnailles des « Gilles de Binche » ou de toute autre société folklorique. A Lille, elle avait connu autre chose, un bref moment de bonheur, après avoir rencontré Eugène Havet. Elle l'avait aimé. Il lui avait donné deux enfants avant de disparaître tragiquement après l'incendie de son atelier. Germaine, la sorcièreA présent, elle devait se débrouiller seule. Jo se souvenait des fins de mois, toujours difficiles. Alors sa mère devenait nerveuse, inquiète, presque terrorisée. C'est qu'elle attendait l'arrivée de Germaine. Germaine était l'épouse de Léon, le beau-frère, celui qui avait prêté de l'argent pour l'achat du matériel de droguerie-quincaillerie et qui avait mis à sa disposition le magasin de la place Catinat, contre un loyer mensuel, bien évidemment. Léon n'était pas mauvais mais sa femme était acariâtre, égoïste et près de ses sous. Chaque mois « la sorcière » - c'est ainsi qu'elle apparaissait aux yeux des deux garçons - venait réclamer le montant du loyer et le remboursement fractionné du capital emprunté. -- Vous savez, disait Clotilde, que ce mois, je n'ai pas vendu grand chose. Le pétrole a encore augmenté. Il a fallu que je le paie à réception et donc, je n'ai. Germaine la coupait sèchement : - Cà, je ne veux pas le savoir. Vous connaissez nos conditions : 150 fr de loyer et 150 fr de remboursement mensuel, ce qui fait 300 fr. Vous nous les devez. On ne peut pas vous faire crédit et Léon serait très mécontent de me voir revenir sans cet argent. Léon avait bon dos. Il n'aurait rien dit. Mais Germaine portait la culotte et avait la réputation d'être très âpre au gain. Clotilde, le cœur serré, s'exécutait, raclait des fonds de tiroir, se privait de beurre la semaine suivante et n'achetait plus de viande au boucher. Jo et son frère « se ramonchelaient » sur leurs chaises, c'est à dire qu'ils se faisaient tout petits pendant l'entretien. Cinquante ans plus tard, Georges n'avait pas pardonné à la fameuse Germaine sa dureté de cœur. Devenu adulte il avait coupé toute relation avec sa cousine, la fille unique du couple Léon-Germaine qui n'était pour rien dans ce ressentiment. Pendant très longtemps, les enfants de Jo ignorèrent l'existence de cette cousine. Il fallut des circonstances fortuites pour que les uns et les autres découvrent l'origine de la rancœur de Jo et ce drame vécu, chaque mois, dans le petit magasin, de 1910 à 1914. Non, la vie n'était pas facile pour le petit peuple. « La Belle Epoque » comme on l'a appelée : c'était une expression choisie pour des gens choisis et qui vivaient dans un autre univers que celui de Clotilde et de ses enfants. Demain, nous serons à BerlinIl en était de même pour la famille Brailly. Le père de Léa originaire de Picardie, né en 1880, avait encore l'âge d'être mobilisé. Le samedi 1er août, à l'heure suffocante des orages, la terrible nouvelle avait éclaté comme un éclair : « Ca y est ! On mobilise ! C'est affiché sur la porte de l'école. » Albert Brailly ne fit qu'un bond. Fendant la foule qui emplissait déjà la cour, il s'approcha de la feuille blanche punaisée sur la porte. D'un regard, il lut le message. Puis pour mieux s'en convaincre il le relut posément. Presque mot à mot pour s'assurer que tout était bien vrai. « Le premier jour de la mobilisation, disait l'affiche, seront rappelés les éléments de la classe 1913 et des 10 classes précédentes. » Rien que trois lignes hâtivement imprimées : le faire-part d'un million et demi de Français. Albert y échappait pour cette fois. Quelqu'un assura dans la foule : -- La mobilisation n'est pas la guerre. Tandis qu'un autre proclamait : -- Aux armes ! citoyens. Dans trois semaines nous serons à Berlin. Et on tirera les moustaches à Guillaume. Le Kaiser, mon cul ! Albert se retira de la cohue, effaré. Il savait qu'il n'y échapperait pas malgré la présence de ses trois enfants ; il n'avait que 34 ans. Peut-être serait-il tout de même reclassé dans la réserve ? Le lendemain, en compagnie de Léa, il se rendit en gare de Lille-Délivrance, un nom prédestiné, une gare de triage près de Lomme. Des fantassins en tenue, le barda sur le dos, se tenaient prêts à embarquer alors que des femmes leur jetaient des fleurs et envoyaient des baisers. Déjà on chargeait des canons au long cou enguirlandé de branchages. Des pioupious en pantalon rouge s'entassaient dans des wagons de marchandises couverts de caricatures et de défis guerriers. Jeunes et vieux, civils et militaires flambaient du même enthousiasme. Les uns frémissaient à l'idée de la victoire et de la reconquête de l'Alsace-Lorraine. Les autres, en braillant, partaient la fleur au fusil. « La Marseillaise » succédait au « Chant du départ ». Deux mois plus tard, Albert Brailly quittait Lille avec des colonnes de mobilisables, sommés de s'éclipser de la ville, non encore sous la domination allemande. Ils partirent à pied, dans la plus noire pagaille, dans la plus totale incohérence. Il retrouva femme et enfants - il y en avait un de plus, Joseph, arrivé en avril 1915 - que quatre ans et demi plus tard, à l'aube de l'année 1919. Cela il ne l'oubliera jamais. La misère sous la botte allemande
Une guerre d'usure entre les autorités d'occupation et les responsables locaux s'engagea aussitôt et dura jusqu'au retrait des troupes en 1918. Les Allemands s'ingénièrent à extorquer le maximum d'argent à des municipalités à bout de souffle. De tous les maux qui accablèrent les Lillois durant quarante-huit mois, la faim fut sans conteste l'élément dont ils souffrirent le plus. Ils manquaient de pain, et de pommes de terre. Le beurre et les œufs étaient quasi introuvables. Quant à la viande, n'en parlons pas ! Elle avait disparu. Heureusement, dès 1915, un comité hispano-américain effectua les premières distributions en nourriture. Quand les U.S.A. entrèrent à leur tour en guerre aux côtés des Alliés, un comité hispano-néerlandais prit le relais. On se demande combien de Lillois seraient morts de faim sans la présence active de ces comités qui se chargèrent des distributions de vivres malgré les entraves des autorités d'occupation. Une scène, un jour, se déroula sous les yeux du petit Georges, non loin du quartier Vauban : « Une file de 150 à 200 personnes font la queue, récipient en main, pour obtenir de la soupe, du ragoût ou des légumes, dans une triste journée de janvier, sous une pluie fine et lente. » Ces cuisines populaires ouvraient à 11 heures. Mais dès 8 heures du matin la queue se formait devant la boutique et ne cessait de s'allonger. On pouvait compter 300 personnes, avec des bons, genre de monnaie d'échange, à la main. Mornes et désespérés, d'autres gens s'alignaient devant les bureaux où l'on percevait les indemnités versées par la ville. La misère pesait partout et n'épargnait personne, pas plus la famille Brailly que la famille Havet. Le docteur Calmette, fondateur de l'Institut Pasteur à Lille qui était resté à son poste écrivait en 1918 : « Lille intra-muros est dans l'isolement complet, dans la privation totale de viande fraîche, de lait, d'œufs, de pommes de terre et de légumes verts. La ration ne représente que les 2/3 de la normale d'un non-travailleur puisqu'elle est de 1 500 calories au lieu de 2 200. La morbidité et la mortalité sont effroyables. Il faudrait servir des repas spéciaux à 15 000 jeunes qui souffrent de tuberculose. Les désordres cardiaques, les affections rénales et le rachitisme infantile se généralisent. Les rues habituellement animées par les ouvriers se rendant à l'usine très tôt le matin sont maintenant calmes et l'atmosphère pesante de tristesse et d'angoisse. On sent venir le froid de l'hiver et avec lui davantage de difficultés et d'inquiétudes. » L'occupant n'était pas tendre avec les populations civiles. La Kommandatur avait obligé les gens à loger des soldats et donné ordre de laisser ouvertes les portes de rue. C'est ainsi que des pensionnaires en uniforme arrivaient inopinément avec leurs grosses bottes et faisaient craquer les marches des escaliers de bois, parfois en pleine nuit. Ça faisait peur et réveillait tout le monde dans la maison. Les officiers étaient très durs avec leurs hommes qui, à l'occasion, recevaient de la cravache ou le plus souvent des réprimandes sur un ton rageur. Défense leur avait été faite de donner la moindre provision à l'habitant « Pour nous, ajoutait une dame amie de Léa, pas question de sympathiser. On supportait le soldat comme lui supportait son état. Quand ils nous montraient des photos, pensaient à leurs familles, à leurs enfants, en nous voyant, je savais qu'ils n'étaient pas heureux. Mais c'était l'ennemi et on ne pouvait concevoir de rapprochement. La guerre de 1870, aussi courte fut-elle, avait laissé des séquelles et développé des sentiments dans ce Nord qui avait subi, en particulier, la cruauté des Uhlans. » Le ravitaillement devenait, de jour en jour, la préoccupation essentielle. On distribuait dans les écoles ou dans les mairies en guise de viande, du lard venu d'Amérique, tout jaune et tout ranci et le fameux pain marron que l'on mettait en boulettes et faisait recuire.
« Des scènes déchirantes, des pleurs, le refus de la séparation, se souvient Georges, tout cela fut liquidé très vite, avec arrogance et brutalité. Le soir, les garçons, raflés dans la journée, étaient entassés pêle-mêle dans une usine désaffectée, près de la gare. Le lendemain matin ils étaient emmenés pour le travail forcé. Près de chez nous, le troisième ado, qui avait 17 ans, fut emmené de cette façon. Il travailla sur les routes du côté de l'Est. Quelques mois plus tard, renvoyé dans ses foyers, ses parents le ramenèrent de la gare sur une brouette. Son état de santé ne lui permettait plus de marcher. » Epargnée jusqu'alors par les bombardements - on se battait pourtant à quelques kilomètres de là, à la Bassée ou à Armentières - Lille allait bientôt payer un nouveau tribut à la guerre. Les Anglais prirent d'abord comme objectif la gare de Fives-Lille où sortaient des ateliers de l'usine, de nombreuses locomotives. Il y eut aussi la fameuse explosion des « 18 ponts ». Ainsi appelait-on un énorme réduit près de la porte de Valenciennes, à Lille,qui servait de poudrière et qu'on disait invulnérable. Une nuit, celle du 10 au 11 janvier 1916, tout sauta dans une formidable explosion dont on ne connut jamais la cause exacte. Elle fit d'énormes dégâts dans le quartier qui fut littéralement éventré et aussi de très nombreuses victimes tant chez les Allemands que chez les Lillois. La boucherie dans les tranchéesDe l'autre côté du front, celui des combattants à présent habillés de bleu horizon, le courage, la confiance, la force d'âme faisaient parfois place au découragement et à la lassitude. « Que l'on veuille bien penser, écrit Maurice Genevoix, à tous ces garçons, jeunes, sains, ardents à vivre jetés follement sur des glacis balayés par un feu meurtrier. Une balle qui frappe dans le corps du voisin tandis que l'on court en haletant, cela s'entend comme un coup de couteau. Un homme qui se plie en deux cassé comme un pantin sur le fil de fer d'une clôture et dont le crâne ouvert laisse couler pesamment la cervelle, cela se voit très bien au passage. Et pareillement se voient, lorsqu'on aborde une ligne de crête, dans le vacarme d'une fusillade qui, brusquement, s'enfle et crépite en un paroxysme furieux, toutes ces mâchoires éclatées, ces mains mutilées qui se tendent, poissées d'un sang plus rouge que tout ce qu'on aurait pu croire, ces autres mains crispées sur un ventre pour contenir la poussée des entrailles. Et surtout des yeux dilatés où la mort vous regarde comme au travers les trous d'un masque. Pourtant ceux qui montent à l'assaut, continuent. Au devant de leur propre mort, ils continuent d'aller. » Ni Georges, ni Léa, ni leurs frères, soeurs, mères ou amis n'avaient conscience de ce qu'enduraient « les poilus ». Ils ignoraient ce qu'était l'existence dans les tranchées, dans la puanteur des cadavres tombés la veille, entre les lignes, dans la fange, sous une pluie impitoyable, celle des obus. « Celui-là qui n'a pas connu ces moments ne peut en parler, continue Maurice Genevoix. Il y eut tant de nuits où l'on attendait l'aube en grelottant, sans couvertures, sans feu, ni lieu, tant de boue jusqu'aux genoux, jusqu'aux hanches, tant de pieds lentement engourdis, bleuis, noircis, enfin gelés. » En février 1916 débute la terrible bataille de Verdun, la plus gigantesque empoignade que le monde ait connue. La plus sanglante aussi puisque sur ce front de quelques kilomètres, plus d'un million d'hommes tomberont, soit au rythme de plus de 3 000 par jour. Suprême folie qui va broyer autant l'armée française que l'armée allemande au point que le général Hindenburg confessera : « Cette bataille épuisa nos forces comme le fait une blessure qui ne se ferme pas ». Ce fut à cette époque que les ingénieurs de chez Krupp sortirent leur fameux canon de 240 mm qu'ils baptisèrent « la grosse Bertha », hommage d'un patriarche plein d'amour et de fierté pour sa fille. Coulé tout d'une pièce comme il était de tradition dans la maison depuis 1847, il ne mesurait pas moins de 17 mètres de longueur et sa masse de 260 tonnes était portée par 18 essieux. Tandis que la Walkyrie des hauts-fourneaux, « la grosse Bertha » effraie les Parisiens en faisant des victimes, les Soviets, de leur côté, abandonnent définitivement le combat contre les Allemands et signent le traité de Brest-Litovsk qui dépossède la Russie de nombreux territoires. Cette désertion précède l'assassinat du tsar Nicolas II et de la famille impériale à Ekaterinbourg par les bolcheviks. C'est l'hallali ! En octobre, le gouvernement autrichien demande l'armistice de même que les Turcs. A Spa, après des scènes dramatiques, les responsables du gouvernement allemand obtiennent l'abdication du kaiser Guillaume II. Le soir même, la Hollande accueillait l'exilé tandis que dans la clairière de Rethondes, près de Compiègne, les plénipotentiaires prennent connaissance des conditions d'armistice imposées par les Alliés. Le 11 novembre, le caporal clairon Sellier lance la déchirante sonnerie du « cessez le feu » qui gagne le front de proche en proche. 52 mois de tueries et de massacres s'achèvent. Bilan tragique : plus de 5 millions de morts chez les Alliés. Plus de 3 millions dans les puissances centrales.
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