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Chapître 4 Imprimer Envoyer

Pourvu que ça dure

Non, la famille Havet n'avait pas de raisons de se croire malheureuse. Deux ans après l'arrivée de Gaspard, en juillet 1929, s'annonçait un second garçon qu'on prénomma Gaétan. Le jeune ménage qui payait à l'époque 971,25 F d'impôts sur les revenus et qui voyait son foyer s'agrandir avait décidé de quitter l'appartement du quartier Vauban pour s'établir dans une petite maison de la banlieue lilloise, à Hellemmes.

-- Je serai plus près de mon travail, avait décrété Jo qui était devenu chef de travaux à la brasserie « La Semeuse ». Et puis nous serons plus à l'aise. Les enfants auront un jardin pour courir et s'amuser… .

Jo n'avait aucune compétence dans la fabrication de la bière. Il venait de l'Ecole Professionnelle des Industries Lilloises (l'EPIL) et était seulement diplômé dans le dessin industriel. Mais il avait confiance en lui, en ses facultés d'adaptation, et il ne manquait pas de courage pour affronter de nouveaux défis. Et puis c'était « une grande gueule » comme on disait dans les quartiers populaires. Il ne s'en laissait pas conter. Il osait discuter des conditions de travail avec les patrons, les deux frères Dupont qui régnaient comme des dieux sur leur entreprise et ses 85 salariés.

Jo avait même eu l'idée de fonder un syndicat pour défendre ses idées sociales. Il adhéra à la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (la CFTC) et recruta d'autres militants.

Ce n'était pas sans effrayer Léa qui avait abandonné son travail de secrétaire dans une banque régionale à la naissance de Gaétan. Elle applaudissait au fait d'habiter une petite maison ouvrière, où elle pourrait vaquer à l'aise et s'occuper de l'éducation de ses deux garçons. La perspective d'entretenir un jardin et de voir pousser des fleurs la ravissait. Elle qui n'avait jamais connu que les pavés luisants de la cour des « Docks » et l' étroit balcon de l'appartement du quartier Vauban.

Déjà les citadins effectuaient un timide retour vers la campagne ou ce qui en tenait lieu, dans la proche banlieue. Une nouvelle génération qui n'avait vu de la guerre que les fleurs et les médailles distribués à leurs pères, héros en uniforme, arrive à l'âge d'homme. Et elle attend beaucoup des plaisirs de l'existence.

Ces satisfactions ne favorisent pas tout le monde. D'ailleurs le Nord et le Pas-de-Calais qui constituent la première région économique s'estiment lésés par rapport au reste de la France.

Georges fulmine :

La capitale politique de la France se situe du côté de Souillac parce qu'il y a là-bas beaucoup de méridionaux qui font de la politique. La capitale du travail s'inscrit à Lille où l'arrondissement paie à lui seul le 1/7e du total des impôts de la nation. Autant que 20 autres départements réunis. Il y a là une injustice flagrante. Comment parvenir à rétablir l'équilibre. ?

Pour l'instant, il ne voit pas de solution, sinon de militer, toujours et de plus en plus au sein de la CFTC.

-- Nous tenons le coup, remarque Albert qui suit attentivement dans son journal « le Grand Echo » les données économiques de sa région d'adoption. Regardez le textile. Malgré la forte concurrence étrangère, il résiste.

-- Ici, disait Berthe qui venait de sa campagne de la Beauce, on sait travailler nuit et jour. On n'a pas peur de l'ouvrage. Chez nous non plus, s'empressait-elle d'ajouter car elle tenait à son village natal. Mais ce n'est pas la même chose. On est au grand air et il y a plus de soleil.

-- Pourvu que çà dure, se lamentait Clotilde qui voyait souvent tout en noir.

Il est vrai qu'elle n'avait pas souvent l'occasion de rire, tenant difficilement son petit magasin de droguerie-ferblanterie qui ne rapportait plus grand chose sinon des tonnes de soucis pour équilibrer les factures et les minces recettes de clients peu fortunés. Et toujours, chaque fin de mois, la terrible Germaine qui venait réclamer ses 300 francs de loyer. Il est vrai que dans le quartier Vauban, personne ne roulait sur l'or.

L'arrivée de Tintin

Dans la capitale on pense à autre chose, surtout dans les milieux de plaisir. Joséphine Baker chante « J'ai deux amours, mon pays et Paris ». Elle porte toujours sa ceinture de bananes et fait un tabac dans le music-hall.

Tintin qui fait son apparition dans les magazines illustrés pour enfants ne se fait pas d'illusions. Il a été chez les Soviets et il a compris.

Justement il y a foule, en ce jour de 1930 sur la place de la Gare du Nord à Bruxelles. Serrés les uns contre les autres, les yeux fixés vers la sortie de la gare, les lecteurs de 7 à 77 ans, ceux du Petit XXème, attendent l'arrivée des vedettes : le jeune reporter Tintin flanqué de son fidèle chien Milou.

Partis pour l'URSS l'année précédente, grâce à l'imagination et au talent du dessinateur Hergé, pseudonyme de Rémi Georges, les voilà de retour, après moult péripéties, de la première d'une longue série d'aventures qui se poursuivra durant cinquante ans.

Installés dans une superbe limousine, le jeune Bruxellois en pantalons de golf accompagné de son petit cabot, gagnent l'immeuble de leur journal sous les ovations. Mais qui, en cette année, peut prévoir des temps difficiles et aussi la renommée que prendra cet adolescent à houppette et flanqué de son fox terrier ?

Incroyable célébrité qui fera dire bien plus tard au général de Gaulle « Mon seul rival international, c'est Tintin ! »

Cependant les gloires figées s'effritent : Clémenceau et le maréchal Foch disparaissent.

En URSS, précisément, Joseph Staline qui a pris le pouvoir décide de liquider les « Koulaks » ces paysans qui refusent la collectivisation. Expropriés, ils sont déportés ou fusillés. La faim fait des ravages en Ukraine.

L'apparition de nouvelles théories scientifiques comme la nature ondulatoire des électrons de Louis de Broglie ou la première retransmission d'images qui annonce la télévision fait dire à Albert Brailly, toujours plein de bon sens :

-- Ils vont tout nous détraquer avec leurs nouveaux machins. Même le temps qui a perdu le Nord ? On verra bientôt tomber la neige au 14 juillet. L'hiver n'est pas bâtard. S'il ne vient tôt, il vient tard.

C'était un de ses dictons qu'il affectionnait comme « Ail, mince de peau, hiver court et beau » ou « Arc en ciel du soir, signe d'espoir. Fait mouvoir l'arrosoir » ou encore « En fin juin, vent du soir. Pour le blé, bon espoir ».

-- C'est vrai qu'on n'y comprend plus rien, enchaîne Léa en langeant son poupon. Elle avait le tour de main pour serrer bien soigneusement les petites jambes dans un maillot de laine. Ce qui se faisait à l'époque pour les nouveaux-nés.

Oui, tout concourt à faire de cette année-là, 1930, le point de départ d'une ère nouvelle qui n'a plus rien de commun avec les années folles, pas si lointaines cependant. Malgré les aléas du temps, les gens attendent toujours un nouvel âge d'or.

La politique officielle de la France est la risée des chansonniers. D'ailleurs il y a peu d'histoire aussi ennuyeuse que l'histoire de la IIIe République dans ces années là. On se perd dans les querelles de partis et de personnes, dans les renversements de majorités, dans la valse des cabinets éphémères.

Partout le dosage, le calcul et les complicités. Le ministère Tardieu est renversé le 18 février pour être remplacé par le ministère Chautemps. Quatre jours plus tard, Tardieu est de nouveau investi. La lutte électorale pour la possession du pouvoir ou pour l'octroi des places pénètre jusqu'au fin fond des campagnes. Le moindre village est divisé en républicains et en réactionnaires, les rouges contre les blancs, les « ceux qui vont à la messe » et « ceux qui se moquent de la calotte. »

Heureusement, sur ce plan-là, Georges et Henri Havet avec leur maman, s'entendent bien avec la famille Brailly. Ils sont du même bord, des chrétiens sociaux, et les discussions ne prennent jamais les tournures aigres qui opposent certaines familles. Henri a décidé d'entrer dans les ordres. Il vient d'arriver au Grand Séminaire et dans quatre ans, il sera prêtre.

Le temps des escrocs

Si Alain Gerbault qui revient de cinq années de navigation solitaire à bord de son « Fire Crest » fait encore rêver les jeunes, les plus âgés ne se font plus d'illusions sur la moralité du régime de leur temps. Les escroqueries défrayent la chronique judiciaire.

« La société va de travers » juge Drieu la Rochelle dans ses écrits. Ainsi la banquière Marthe Hanau, fondatrice de « La Gazette du Franc et des Nations » est condamnée à 2 ans de prison et 3 000 F d'amende en mars 1931, année de naissance du troisième garçon de la famille Havet qui s'appellera Gabriel.

La famille s'agrandit, mais la vie augmente. Le peuple se démoralise et les moeurs sombrent dans la décadence. Pour échapper à l'angoisse d'un désastre financier, le pays boursicote.

C'est dans ce climat que Marthe Hanau, qui deviendra « la Banquière » dans un célèbre film réalisé avec Romy Schneider, cinquante ans plus tard, s'impose comme le défenseur du franc.

Elle se lance avec fougue dans la spéculation, offrant 8 % d'intérêt à ses épargnants alors que les banques ne proposent que du 1,5%. On lui coupera bien vite les ailes, mais elle entrera dans la légende car à peine est-elle en prison qu'elle s'en évade. Elle deviendra, pour l'opinion publique, la femme-fantôme, martyre des petits épargnants spoliés.

Les signes d'alarme se multiplient. La France met fin à l'occupation de la Rhénanie. A la conférence de Lausanne, les Allemands qui, face à l'inflation galopante, ont décidé de ne plus honorer leurs dettes, parviennent à les faire annuler purement et simplement. Le slogan : «  l'Allemagne paiera » est devenu lettre morte.

Les revendications se font de plus en plus insistantes. Car la crise atteint maintenant tous les milieux : ouvriers - on compte alors 2 millions de chômeurs - mais aussi commerçants, petits fonctionnaires et artisans. Tous se débattent « dans la purée », selon l'expression à la mode.

On organise une vente de charité pour venir en aide aux écrivains combattants de 14-18. Paul Doumer, treizième président de la République, qui avait perdu quatre fils dans les tranchées, doit inaugurer cette manifestation de charité.

Un témoin raconte : « Il est arrivé à 15 heures dans un tourbillon d'impayables vieilles dames en chapeau à plumes et de messieurs très dignes et décorés. Cinq minutes plus tard il s'effondre sous les balles de revolver d'un Russe inconnu nommé Paul Gorguloff. »

On ne saura jamais très bien les raisons qui ont poussé cet homme à cet assassinat. Colosse aux cheveux roux, au visage taillé à la hache, il venait de se faire dédicacer un livre « La Bataille » par Claude Farrère en se faisant appeler Paul Brede.

En fait c'était un fou, exilé après avoir combattu les révolutionnaires communistes. Polygame - il avait épousé quatre femmes -, il publiait à compte d'auteur des brochures politiques. Il se croyait dirigeant d'un Parti Vert, décidé à lancer une guerre sainte contre le diable. Reconnu coupable, malgré sa démence, il sera condamné à mort en dépit des efforts des experts psychiatres pour lui éviter l'échafaud.

André Maginot meurt, lui, dans des circonstances troublantes. Ministre de la Défense nationale, il était l'inventeur de cette ligne fortifiée qui devait, de la frontière belge à la frontière suisse, interdire aux troupes allemandes, l'entrée du sol français. Il est victime d'un accident d'automobile et le gouvernement ouvre une enquête sur les conditions exactes de ce dérapage qu'on trouve mystérieux. On ne trouvera rien de sérieux.

-- Comme toujours, estime Albert Brailly, on ne trouve pas de coupable parce qu'on ne veut pas les chercher ? Cà arrange tellement de monde de ne pas laisser éclater la vérité.

En effet, après Paul Doumer et André Maginot, d'autres disparitions demeurent suspectes. Albert Londres, journaliste hors pair, qui parcourt le monde en long et en large, enquêtant sur le scandale du bagne de Cayenne ou la condition des aliénés dans les asiles de France, la traite des noirs en Afrique et la traite des blanches en Argentine, lui aussi, est victime d'un étrange accident.

Embarqué sur le paquebot « Georges Philipar » à Shanghaï, après une enquête qui l'avait mené en Chine sur un sujet dont il ne révélera rien à personne, il emporte son secret en périssant dans l'incendie du navire près du golfe d'Aden.

« Qui a tué Albert Londres ? » demande Pierre Assouline dans son livre consacré au prince des grands reporters. Un banal court-circuit dans une cabine ou une organisation politique ? Une bande de trafiquants d'opium ? Après sa disparition tragique, on a lu et entendu tout et le contraire. Au cours de son enquête en Chine, il se serait mis à dos les fournisseurs d'héroïne, les contrebandiers de l'armement, les fascistes, les bolcheviks. Autant de spéculations sans preuve pour un homme mort au champ d'honneur du journalisme.

L'enfant kidnappé

L'actualité projette, cette année là, ses feux sur l'enlèvement du fils de Lindbergh, le célèbre aviateur dont on a déjà parlé, lors de son exploit au-dessus de l'Atlantique. A l'emplacement du landau du bambin de 18 mois disparu, a été laissée une demande de rançon de 50 000 dollars.

Léa est bouleversée. Elle qui chérit ses deux bambins. Toutes les mamans du monde sont révoltées. Elles le seront d'autant plus que les nouvelles arrivent par la TSF, de plus en plus présente dans les foyers, et qu'elles apprendront presque en direct, les péripéties du drame.

Car l'Amérique est toujours le paradis des racketteurs et des escrocs en tous genres. L'un des plus célèbres bandits se nomme Al Capone. Depuis 10 ans, il règne en dictateur sur la pègre de Chicago, soudoyant les juges, les maires et autres dirigeants de la ville. Auteur de centaines d'assassinats, producteur et distributeur d'alcool - alors prohibé aux U.S.A. -, il échappe à tous les contrôles et jouit de protections occultes. La police fédérale finira par le « coincer » pour fraude fiscale, ce qui lui vaudra 11 ans de travaux forcés.

Mais le cinéma - et plus tard la télévision - s'empareront du personnage pour en faire le modèle des « durs » et des gangsters à qui tout réussit. « Scarface » de Howard Hawks qui relate avec brio ses tristes exploits sera un énorme succès au cinéma.

Quant à l'enfant Lindbergh,c'est toujours le mystère le plus complet. En mai, après neuf mois d'angoisse insupportable, on découvre le corps du bébé près de la propriété familiale de Hopewell dans le New Jersey. L'émotion est immense dans le monde, mais surtout aux U.S.A. Le drame qui frappe un héros national dans sa vie de famille est ressenti comme une agression contre l'Amérique toute entière.

Charles Lindbergh avait pourtant versé les 50 000 dollars de rançon. Puis les ravisseurs avaient, parait-il, exigé 200 000 dollars supplémentaires. Un millier de détectives avaient participé aux recherches et le président Hoover lui-même avait poussé les enquêteurs à trouver une piste. Elle devait conduire à la Mafia, mais on ne parvint jamais à découvrir l'identité des assassins du bébé.

On parla un moment d'une histoire de famille bien étrange. La belle-sœur de Lindbergh, qui se trouvait en mal d'enfant, aurait emmené le bébé à l'insu des parents. Mais le bambin aurait eu un accident cardiaque. La belle-sœur aurait alors imaginé un scénario rocambolesque d'enlèvement avec rançon à la clé.

Jamais Charles Lindbergh qui avait eu connaissance de l'acte de la ravisseuse ne révéla quoique que ce soit à ce sujet. A t-il laissé exécuter un innocent sur la chaise électrique bien des années plus tard ?

Un homme dangereux

Un point noir grossit à l'horizon de la planète. Alors qu'après des années de guerres et d'injustices, le monde aspire au bonheur et à la paix, confiant dans les inépuisables ressources du progrès, le chômage s'étend partout.

En Allemagne, 6 millions d'hommes sont sans travail. Ils attendent beaucoup de la propagande d'un parti national socialiste qu'on va dénommer « nazi ». Sur les tribunes et dans les micros, les discours hystériques et contagieux d'un homme, idole de l'Allemagne nouvelle, discours qu'il répète, semble t-il, devant un miroir, prennent, de jour en jour, plus d'importance. Cet homme s'appelle Adolf Hitler.

Un jeune homme de France, Robert Brasillach apprend d'un fils de banquier berlinois que les militants de gauche sont parqués dans des camps de travail. Personne ne peut communiquer avec eux.

Bientôt les magasins juifs sont boycottés et les commerçants lynchés par la foule. Le port de l'étoile jaune devient obligatoire pour les juifs sur le territoire du Reich. Ils commencent à prendre le chemin des camps de concentration. Chez les Havet comme chez les Brailly, on ne veut pas croire à la renaissance d'un esprit guerrier qui génère la violence et la haine.

Jo et Léa sont stupéfaits :

- Quoi ? Cet agitateur qui hurle dans les postes de radio, dont on prédisait la disparition prochaine à cause de ses excès, le voilà la tête de l'Allemagne ! Que nous réserve t-il ?

Certes le pouvoir d'Hitler semble encore précaire. Des émeutes ouvrières par ici, une méfiance d'une partie de la droite par là, et aussi la réserve de la vieille aristocratie militaire ne lui permettront pas de durer bien longtemps, pensent les beaux esprits.

Et puis l'hitlérisme n'est pas un danger pour la France, se répètent d'autres qui voudraient bien qu'un même esprit prévale en France.

-- L'Allemagne est trop faible et les Allemands, vaincus de 1918, ne veulent pas la guerre. Ils en ont trop souffert, pense Léa qui a connu les rigueurs de l'occupation alors qu'elle avait 12 ans. Je ne veux pas revoir çà, surtout pour mes enfants.

-- Hitler a réclamé le rattachement de la Sarre, observe Albert Brailly qui ne manque pas d'être inquiet. Mais ce n'est là qu'un défi ! On ne le laissera pas faire !

Et pourtant chacun prend conscience, jour après jour, que le monde bouge.

« Une grande partie de l'opinion en France, dit Jean-François Deniau en parlant de cette période, ne veut pas voir le danger nazi parce qu'elle pense d'abord à la menace rouge, celle des Soviets. A droite, au centre et même à gauche, l'Union Soviétique fait peur. »

Des craquements sinistres se font entendre de toutes parts mais cela n'empêche pas les Français de continuer à s'étourdir pour échapper à la morosité.

Tino à la voix de velours

Le cinéma prend de plus en plus de place dans les loisirs d'autant qu'il devient maintenant parlant et que les artistes s'expriment directement sur l'écran. La vogue triomphante des films avec des histoires d'amour, qui finissent toujours bien, culmine avec le beau film de René Clair « 14 juillet » tandis que les films d'épouvante trouvent un autre écho avec « King-Kong »

Jo comme Léa n'ont plus le loisir de se rendre dans les salles obscures. La seule détente dans leur vie laborieuse de tous les jours a été de se rendre, dans le Lot, à Rocamadour. Là, ayant laissé les garçons à la garde de grand mère Berthe, toujours fidèle au poste, dans sa loge de concierge des « Magasins Généraux », ils ont gravi, main dans la main, le long lacet qui mène à la Dame de Rocamadour, la Vierge Noire, vénérée depuis le Haut Moyen Age.

Pendant des semaines et des mois, ils en ont parlé à leurs enfants comme le voyage le plus lumineux et le plus bienfaisant de leur existence. L'ascension du grand Escalier avec ses 223 marches, le chemin de croix dans la montagne, les chapelles et les monastères qui étaient autant d'étapes sur le chemin de St Jacques de Compostelle, tout cela ils l'ont vécu, intensément. Ils ont baigné, durant trois jours, dans la spiritualité des Bénédictins. Les enfants en ont conservé des traces.

Dans un domaine plus profane, au même moment, Tino Rossi fait ses débuts à Marseille. C'est un jeune Corse dont la voix de velours séduit les midinettes et les collégiennes en chantant son île natale dans « Ile d'amour » ou « Vieni, vieni » « Marinella » « Tchi-tchi » et tant d'autres refrains concoctés par le Marseillais Vincent Scotto. Pendant 20 ans ses chansons reviendront sur toutes les lèvres et dans toutes les radios. A ses débuts, il parvient à vendre 80 000 disques par mois ; un record à l'époque où n'existent pas encore les chaînes HI-FI.

Autre institution qui tourne la tête des Français : la Loterie nationale que le gouvernement vient de lancer pour renflouer sa trésorerie. Tout le pays s'intéresse au premier gagnant, un petit coiffeur de Tarascon qui s'appelle Bonhoure. Il gagne d'un seul coup 5 millions de francs - une fortune - et s'achète un château en Provence. D'autres cherchent aussi à acquérir des châteaux, mais par des moyens beaucoup moins honnêtes.

L'affaire Stavisky

Ainsi débute l'affaire Stavisky quand le député maire de Bayonne se voit impliqué dans le scandale des faux bons de caisse du Crédit municipal de sa ville. L'affaire est complexe. La fraude consistait à estimer de faux bijoux à un chiffre très important. Des émeraudes évaluée à un million et demi de francs en valaient à peine quarante. Pour financer les prêts, le directeur du Crédit municipal émettait des bons de caisse garantis par ces faux bijoux gagés.

Une société d'assurances flaira la filouterie et remonta jusqu'à l'auteur de l'escroquerie, un certain Alexandre Stavisky, né en Ukraine, en 1886, poursuivi de nombreuses fois pour faillites frauduleuses mais jamais jugé. Il bénéficiait de protections en haut lieu.

Cette fois, il ne peut échapper à l'enquête d'autant qu'il a sévi également au Mont-de-Piété à Orléans pour plus de 43 millions. L'affaire soulève la colère générale quand on apprend, deux jours plus tard, qu'un député est compromis, puis un ministre. Le 1er janvier 1934, les protecteurs de Stavisky sont démasqués, tous grands personnages du régime.

Stavisky prend la fuite. On le retrouve dans un chalet de Chamonix, sans vie.

« Suicidé d'une balle tirée à bout portant » affirme « le Canard Enchaîné ».

Pour apaiser l'opinion bien ébranlée, le garde des Sceaux charge le conseiller Albert Prince de découvrir la vérité. On retrouve le magistrat, sur la voie ferrée Paris-Dijon, le corps déchiqueté. La serviette contenant le dossier Stavisky a disparu. C'est plus qu'on pourrait imaginer dans le plus noir des romans de Georges Simenon. Le jeune romancier publie, tous les six mois, un récit policier que domine de toute sa prestance le fameux commissaire Maigret. Les tirages de ses romans atteignent des chiffres fantastiques.

Les passions politiques se déchaînent et des manifestations de plus en plus violentes sont déclenchées par les ligues d'extrême-droite. Le 6 février 1934, à l'appel des « Croix de Feu », de l'Action Française et des Camelots du Roi, (et aussi du Parti Communiste), des cortèges se forment à Paris. 20 000 anciens combattants, des hommes légitimement indignés descendent les Champs-Elysées vers 7 heures du soir :

-- Escrocs ! Vendus !, clament-ils

-- Daladier, démission. A bas les voleurs

-- A bas le ministère Stavisky.

Le malfrat d'Ukraine a éclaboussé tout le régime parlementaire. La foule se heurte place de la Concorde au service d'ordre qui protège la Chambre des députés. Des agents et des gardes mobiles tirent. Les premiers rangs tombent sous les balles. On relèvera une vingtaine de morts et 200 blessés. Cette nuit-là, racontée par des chroniqueurs de talent, restera dans toutes les mémoires. Il s'en fallut de peu que l'émeute ne tourne à la révolution.

Plus tard, Emile Giraud, professeur à la faculté de Droit de Lille, jugera le 6 février 1934 comme une des dates les plus funestes de notre histoire :

Cet événement jeta dans la politique de la IIIe République une semence empoisonnée qui devait lever et grandir pour provoquer des calamités en chaîne (...). L'esprit du 6 février va se développer dans deux directions également fatales. Il créera la résignation à tous les abandons pour éviter l'effusion de sang sur le plan national comme sur le plan international (...).

Ce fut en second lieu une politique de faiblesse ou de complicité des gouvernants à l'égard de Mussolini, puis d'Hitler. L'esprit du 6 février c'est d'abord l'esprit de Munich. Il représente un pacifisme de mauvais aloi fait d'illusion et de lâcheté (...). Il décupla aussi l'influence de l'extrême droite, c'est-à-dire de l'Action Française.

Celle-ci était passionnément pour Mussolini parce que celui-ci avait détruit la démocratie en Italie et parce qu'il était nationaliste. Ces partisans, avoués ou sournois, de l'entente avec les fascistes italiens s'appelaient Laval, Georges Bonnet, Camille Chautemps. Ils avaient des accointances dans les milieux militaires. La guerre qui leur eût plu, ce n'était pas la guerre contre l'Allemagne mais la guerre contre le Russie.

La guerre ! La guerre ! Le murmure s'enflait et parvenait jusqu'aux oreilles des plus humbles comme la famille Havet ou la famille Brailly. Le poilu Albert répétait sans pouvoir s'en convaincre :

-- Ce n'est pas Dieu possible! On avait dit « la der des der » en défilant pour la victoire de 1918. Et voilà qu'on recommence à lâcher les chiens.

-- Hélas ! répondait Jo, son beau-fils, ce parlementarisme décadent ne sait que mentir, ruser, manœuvrer et intriguer. Et la lâcheté ne paie jamais. Jo était de ces gens qui ne transigent pas. Il vomissait les tièdes et les politicards. Il aurait facilement versé dans l'extrémisme car son tempérament l'entraînait vers une rigueur absolue. En cela, il dépassait les notions émises par les démocrates chrétiens de « l'Aube » qu'il lisait en mangeant car il était toujours pressé.

Une nouvelle naissance - la quatrième - celle de Fabienne, venait d'agrandir son foyer. Léa dont l'aîné venait tout juste d'avoir sept ans était trop occupée avec sa marmaille pour comprendre et analyser tous ces événements. Elle tentait d'apaiser la nervosité de Gaspard qui ne tenait pas en place. Elle écoutait Gaétan qui était timide et qui s'exprimait par monosyllabes et que sa grand mère Clotilde surnommait « le muot ». Elle mignonnait Gabriel, né en 1931, qui détonnait dans la famille parce qu'il était très brun de cheveux et qu'il regardait autour de lui avec des yeux noirs comme des olives sorties d'une jarre.

Sa grande préoccupation pour l'instant était de pouvoir équilibrer son budget. Car malgré les belles paroles des parlementaires en faveur des familles, la France ne manifestait pas un enthousiasme délirant pour la natalité. Les familles nombreuses demeuraient l'exception. Elle avait tant à faire, la pauvre Léa, dans sa petite maison d'Hellemmes, pour assurer à la fois la préparation des repas, les lessives et les vaisselles, la tenue de sa maison, le nettoyage hebdomadaire, les courses dans les petits magasins du quartier.

Violette, l'empoisonneuse

A peine avait-elle eu le temps de suivre l'affaire célèbre de « l'empoisonneuse » !

Parisienne, elle s'appelait Violette Nozières et avait seulement 19 ans. Elle aimait la toilette et les bals. Cela la conduira aux Assises car elle administra de la mort aux rats à son père et à sa mère pour mener une vie encore plus libre. Depuis deux ans, elle sèche les cours de l'institut privé où elle est inscrite pour courir les cafés du Quartier Latin en dévergondée.

Maîtresse d'un étudiant en droit, elle se prostitue pour procurer de l'argent de poche à son amant. Elle donne le change à ses parents avant de leur glisser une dose de poudre mortelle, censée calmer les douleurs d'estomac dont ils souffrent depuis quelque temps. Le père, mécanicien à la compagnie de chemin de fer P.L.M. mourra en se tordant de douleur. La mère survivra après avoir échappé au gaz que sa fille avait ouvert après s'être emparée des quelques milliers de francs d'économie du ménage.

Elle pardonnera à sa fille quand celle-ci, décrite comme un « monstre de perversité » se présentera dans le box des accusés en prétendant avoir été victime des relations incestueuses de son père dont elle voulait se venger.

Son avocat ne pourra éviter la condamnation à mort, peine qui sera commuée en celle des travaux forcés à perpétuité, par le président de la République, Albert Lebrun.

Violette Nozières devient, à cette période, l'objet de tous les regards de l'opinion publique qui se passionna pour cette triste histoire. Elle se termina d'ailleurs comme un roman rose pour midinettes.

En effet, prisonnière modèle, Violette rencontrera plus tard, dans les couloirs de la maison d'arrêt de Rennes, le fils du greffier qu'elle épousera, lors de sa libération définitive pour bonne conduite sous la présidence du général de Gaulle. Mère exemplaire elle élèvera ses cinq enfants et sera réhabilitée, trois ans avant sa mort en 1966, la thèse qu'elle avait soutenue d'un père sexuellement perverti ayant prévalu.

Léa, perpétuellement affairée, voyait tout de même, la vie des ménagères se transformer. Pour le premier anniversaire de Fabienne, en juin 1935, une grande fête de famille fut décidée. C'était aussi l'occasion de pendre la crémaillère dans la nouvelle maison achetée à crédit, avec les facilités de la loi Loucheur, avenue de la Liberté à Mons en Baroeul.

-- Je n'en peux plus, avait jugé Léa. Notre maison d'Hellemmes est devenue trop petite pour nous 6. Georges, mon chéri, laisse un peu tomber tes réunions de syndicaliste, abandonne tes responsabilités au sein de la Ligue Ouvrière Chrétienne, pense un peu à nous. Trouve une demeure un peu plus vaste, avec au moins trois chambres, l'électricité partout et un jardin un peu moins étriqué que celui de la rue Jules Guesde.

Georges n'était pas un homme égoïste au point de sacrifier sa famille à ses idées. Son salaire n'avait pas beaucoup augmenté mais il avait pensé que sa maman Clotilde avait suffisamment usé ses forces dans son magasin de la place Catinat. Il lui offrit d'arrêter son commerce – c'était 300 fr de loyer en moins – et de venir habiter avec sa famille à Mons en Baroeul. Ainsi pourrait-elle aider sa bru dans les tâches ménagères tout en gardant une certaine indépendance puisque deux pièces du 1er étage de la nouvelle maison lui seraient réservées.

Ainsi fut fait.

Une fête de famille

Pour cette fête de famille qui rassemblait 20 invités, le menu avait été fourni par les Ets Deroubaix, 12 rue des Bouchers à Lille (noces et dîners en ville et au dehors). J'ai retrouvé les factures, au décès de Georges, parce que moi, Gaspard, huit ans, je n'avais aucune notion de l'économie familiale. Mais je me souviens de ce jour du 30 juin 1935 qui rassemblait pour la première fois, autour de mes parents, Clotilde, ma grand mère paternelle, Albert et Berthe, les grands parents maternels, Angèle, ma grand'tante, Henri, l'oncle que j'appelais encore KKI, du temps où, tout gosse, je ne parvenais pas à dire « oncle Henri ». Il y avait aussi les frères de maman Léa, c'est à dire Marcel qui avait épousé Suzanne, Augustin qui était fiancé à Jeannette, et Joseph, qui allait partir au service militaire et pensait, ensuite, intégrer St Cyr.

Les cinq autres invités se sont un peu perdus dans le temps. Ils étaient proches de Jo et de Léa, soit anciens collègues de travail, soit apparentés de loin comme « Nénette » qui était une cousine de Jo et qui jouait très bien du piano – que nous n'avions pas et que nous n'avons jamais eu ; donc elle n'a pas eu l'occasion de donner un aperçu de son talent, ce jour là –.

Il y avait aussi un certain Riton, un pince sans rire, chevelure ébouriffée et moustache rousse sous un nez aquilin. Il me faisait penser à un clown en civil. Ce brave garçon, par la suite, a épousé une jeune amie de Léa et un an plus tard, décédait d'un cancer foudroyant. Je n'ai jamais vu pleurer mes parents avec autant de larmes. C'était comme si ils avaient perdu un enfant.

Revenons à la fête de famille. Le menu présentait les plats suivants (avec prix de ce temps là entre parenthèses, toujours grâce aux factures) : Crème de laitues, potage (10 F) Noisettes de ris de veau veloutées (145 F) Filet de bœuf à la provençale (160 F) Poularde du Mans avec salade (130 F) Glaces et desserts variés (148 F) sans compter les vins évidemment qui avaient été fournis par la famille. Avec le service, compté 100 F, le tout avait été réglé pour la somme de 786 F, soit environ un repas de fête pour 40 F par personne.

1935, pour situer la période, marque un certain nombre de découvertes qui visent à améliorer la vie. Je les évoque parce que je les ai vues se glisser, petit à petit, dans la vie de la famille, facilitant la tâche de maman Léa, inusable et toujours affairée

D'abord le chimiste américain Carothers qui obtient dans ses cornues les premiers « super polyamides linéaires ». Quelques années plus tard, à la Libération, les Françaises allaient découvrir les remarquables propriétés d'une matière qu'on appellerait « nylon » et qu'on prétendait inusable.

D'autres nouveautés entrent dans les mœurs.

Celles que l'industrie fabrique maintenant en grande série et qu'on peut donc se procurer à un prix abordable. C'est d'abord le moulin à légumes qui permet de broyer les soupes autrement qu'au pilon à bois à travers une passoire.

C'est aussi l'aspirateur qui est devenu portatif et beaucoup plus pratique qu'à ses débuts dix ans plus tôt. On peut se procurer aussi un Frigidaire qui est une marque de General Motors et dont le nom passera dans le langage courant pour désigner un réfrigérateur.

Mais là les prix sont élevés car ce Frigidaire est encore un produit de luxe qui remplace avantageusement l'archaïque garde-manger protégé par un fin treillis métallique qu'on place le plus souvent soit dans la descente de cave, soit sous la fenêtre de la cuisine, à portée de la main. La cuisinière électrique et le fer à repasser électrique font également leur apparition dans les foyers.

-- C'est le progrès, constate Léa. C'est fait pour soulager la peine des gens, mais ce sont toujours les riches qui en profitent les premiers…

-- Normal, répliquait Gaspard, il faut attendre son tour. (Je n'avais pas la langue dans la poche pour mes neuf ans) Ceux qui ont des sous peuvent acheter. Les autres n'ont qu'à regarder. Ou travailler comme bonnes dans les maisons riches. Comme çà elles se serviront des nouveaux appareils.

Mais les bonnes à tout faire se font de plus en plus rares. Un nombre croissant de femmes travaillent au dehors, dans les bureaux ou les ateliers pour apporter un complément de salaire toujours apprécié. Il leur est donc impossible désormais de passer plusieurs heures pour confectionner le repas familial. Le steak- frites remplace de plus en plus les plats mijotés. Il est vrai qu'apparaît aussi la diététique que prescrit un régime équilibré, pour éviter de grossir et vieillir trop vite.

Le charme des élégantes

La femme de 1935, mince et sportive, ne recherche plus les allures masculines en vogue vers 1930, avec les chapeaux cloche au casque, les tuniques droites et la poitrine plate. Coco Chanel est passée par là. Elle a pressenti ce que réclament les femmes en s'inspirant de la mode d'Outre-Manche.

Elle met au goût du jour le jersey, les marinières et ses célèbres petites robes noires qui font la nique aux falbalas et aux chichis des autres couturiers comme Paul Poiret, quasi ruiné après ses extravagances horriblement coûteuses. Chanel fait dans la sobriété et la simplicité, mettant en évidence la silhouette élancée, en la vêtant de vestes confortables et de jupes aux plis souples.

La permanente, d'abord très onéreuse, se démocratise à son tour. Une mode révolutionnaire, celle du teint bruni, du bronzage commence à se faire jour. Avec l'apparition un peu plus tard des congés payés, le bain de soleil complète le bain de mer. Le développement des industries du vêtement va de pair avec l'introduction des textiles artificiels fabriqués à partir de la cellulose. Les véritables textiles synthétiques arriveront plus tard.

Mais les élégantes ne dédaignent plus la confection La petite couturière qui avait des doigts d'or voit ses clientes émigrer vers les grands magasins ou les revendeurs. Un ample mouvement social, pratiquement irréversible, accompagne ces changements dans la vie quotidienne.

Certes l'auto est encore réservée aux privilégiés - l'ouvrier a son vélo -. Les formes aérodynamiques qui commencent à se faire jour, diminuent la consommation d'essence et donnent aux voitures un aspect nouveau et plus confortable.

Dans les villes, on commence à se plaindre du bruit de la circulation, de l'empoisonnement de l'air par les fumées rejetées à la fois par les usines et les pots d'échappement des autos. Les piétons découvrent l'utilité des passages cloutés. Le soir venu, les premières enseignes au néon et les classiques réclames lumineuses trouent l'obscurité. Les centres des villes commencent à chercher le sommeil…

Voici l'avènement du cinéma parlant. “Le Chanteur de jazz “ fut le premier film américain du genre mais, en France, il fallut attendre un film de René Clair intitulé “ Sous Les Toits de Paris “avec Albert Préjean. Les salles de cinéma prolifèrent dans les quartiers et dans les banlieues. On commence à promener le projecteur ambulant dans les villages où l'arrivée du « ciné » devient un événement comme autrefois le passage du cirque.

Léa percevait ces changements sans pouvoir beaucoup bouger de chez elle. Elle avait tant à faire dans sa nouvelle maison de Mons en Baroeul qui s'équipait petit à petit. Un mois c'était le moment de tapisser le second étage, un autre mois de commencer les bâtis d'une véranda dans laquelle allait pousser une vigne qui prendrait des proportions phénoménales.

Léa suivait les travaux, faisait la popote pour les siens et les amis bénévoles, catalogués « bons bricoleurs », entamait une vaisselle avant de pouponner Fabienne. Elle n'avait pas beaucoup le temps de lire mais enregistrait, quelquefois la larme à l'œil, les nouvelles qui faisaient la « une » des journaux de l'époque.

C'est le roi Albert Ier de Belgique qui se tue dans les Ardennes en escaladant une falaise à Marche-les-Dames. Son fils, Léopold III, monte sur le trône, mais son épouse, la si jolie reine Astrid perd la vie dans un accident de voiture, en Suisse, l'année suivante. Tristes destins pour cette famille royale que Clotilde, originaire de Belgique, connaît sur les doigts de la main. Elle compatit et répète à qui veut l'entendre que « le malheur est près des gens »

A Marseille gros remous également avec l'assassinat du roi de Yougoslavie, Alexandre Ier et du ministre français Louis Barthou venu l'accueillir. Les auteurs de l'attentat sont des Oustachis, des terroristes croates qui multiplient les complots à travers l'Europe.

L'attentat de Marseille du 9 octobre 1934 frappe d'autant plus l'opinion publique que le souvenir de Sarajevo, prélude tragique à la guerre 14-18, est encore dans toutes les mémoires. On se répète partout que la guerre menace quand les Serbo-Croates se manifestent. Les Balkans demeurent une poudrière.

D'ailleurs un coup de force allemand - un de plus - réveille les appréhensions. Hitler décide de réannexer la Sarre. Un plébiscite a donné 90 % des voix à l'Allemagne. Le parti nazi, le seul autorisé de l'autre côté du Rhin a imposé ses méthodes lors de la campagne électorale et utilisé la manière forte.

D'autant que Mussolini, en Italie, montre l'exemple.

En octobre 1935, ses troupes envahissent l'Abyssinie, nom ancien de l'Ethiopie, sur les bords de la mer Rouge. L'empereur, le Négus Haïlé Sélassié lance un appel désespéré à la Société des Nations, toujours impuissante et désordonnée. Il ne sera pas entendu.

L'orgueil de la France

Pourtant en France, les raisons de s'enorgueillir ne manquent pas. On se répète les succès de Jean Mermoz, pionnier de l'Aéropostale et nommé chef pilote à Air France. Il a relié Paris à Dakar en 15 heures 30 avant de s'élancer à travers l'Atlantique Sud.

« Le Normandie » solennellement inauguré par Albert Lebrun est, en 1935, le paquebot le plus moderne du monde. Jusqu'alors on mettait six jours pour se rendre du Havre à New York, six jours qui n'étaient nullement désagréables étant donné les conditions de luxe et de confort.

Désormais, avec les performances du « Normandie », on gagnera quarante-huit heures sur la traversée. La ligne de la coque est nouvelle par sa finesse et son aérodynamisme. Le mode de propulsion est également nouveau par la réduction de la vitesse des hélices sans réduire le régime de rotation des turbines. La vitesse est sans précédent : 32 nœuds, soit environ 60 kilomètres à l'heure, dans des conditions normales de météo.

Près de 4 000 personnes peuvent se loger dans cette merveille de la mer dont 2 300 passagers admirent sans retenue les somptueuses lambrissures, les 3 000 baignoires, douches et lavabos sans oublier les piscines, les salles de théâtre et de cinéma, les pistes de danse et les salons élégants.

D'ailleurs dès sa première traversée, le 3 juin, le transatlantique confirme les espoirs escomptés : 31,55 nœuds de moyenne. C'est la plus grande vitesse jamais atteinte par un bateau. « Le Ruban bleu » revient donc à la France qui n'en avait pas été titulaire depuis que « le Touraine », en 1893, avait dû le céder.

L'aventurier des mers du Sud

Georges et Léa s'enthousiasment aussi pour un homme dont on a déjà parlé et qui est devenu le héros d'une chanson que tout le monde fredonne : c'est Alain Gerbault.

Il devient l'homme le plus populaire de France, quelques années après Georges Carpentier, en faisant le tour du monde à la voile en solitaire et sans moteur. Il incarne le mythe de l'homme, épris d'aventure et qui abandonne volontairement toutes les facilités de la société moderne pour vivre son idéal.

En Polynésie, il a trouvé les vraies raisons de vivre. En pleine période coloniale, il devient le défenseur acharné des populations indigènes dont il voit, petit à petit, la culture dévastée et méprisée, les terres spoliées par l'administration en place. Il va être rejeté de partout. Il enquête, proteste, se bat pied à pied, obstinément contre la bêtise humaine.

Il ne verra jamais paraître son dernier réquisitoire : « Un paradis se meurt », car lui-même, fuyant Tahiti, mourra dans son bateau de la malaria en 1941 à Timor où il s'était réfugié. Il avait 48 ans. Il sera tout de même inhumé à Bora-Bora, l'île qu'il avait tant aimée.

Malgré les apparences, les temps ne s'annoncent pas gais. Le calme, après la tempête aura été de courte durée. Même les livres et les romans reflètent les incertitudes du lendemain.

André Malraux dépeint l'univers concentrationnaire sous le sombre titre du “Temps du mépris. Jules Romains parle, lui, de « La Montée des périls » et Henri de Montherlant traite du « Service inutile ». Pas un titre joyeux sauf peut-être ceux de Jean Giono qui proclame « Que ma joie demeure ».

Mais ce n'est qu'un souhait. Quant au cinéma il n'est guère plus gai. Jean Gabin s'illustre dans un film de Jean Duvivier, d'après un roman de Pierre Mac Orlan : « La Bandera ». Jean Renoir, de son côté, plonge dans le sordide avec « Le Crime de Monsieur Lange » où s'exprime avec une certaine audace la notion de solidarité de classe.

Mais un jeune réalisateur d'origine britannique fait un tabac à Hollywood : il se nomme Alfred Hitchcock. Il réalise un film dont on parlera longtemps « Les 39 marches ». Publicitaire de génie, il fut le premier cinéaste à peaufiner son image et à donner à ses œuvres un parfum de schizophrénie, de paranoïa et de dédoublement de la personnalité. La silhouette rondouillarde du cinéaste anglais apparaîtra dans presque tous ses films durant cinquante ans.

Vive le front populaire

La famille Havet, riche (si l'on peut dire) de quatre enfants ignore encore que l'histoire s'accélère et que l'année 1936 va en dessiner, en noir et rouge, de nouveaux contours. Pour l'instant les esprits observent, dès avril, la victoire du “Front populaire”.

Aux élections législatives, avec 149 élus et 27 députés apparentés, c'est le parti socialiste qui assure la majorité de gauche. Les partis radicaux et communiste qui se battaient jusqu'alors les uns contre les autres pour imposer un même progrès social et dont les chemins divergeaient, depuis le congrès de Tours, se rassemblent en force dans l'hémicycle

-- L'espérance est populaire, dit en plaisantant le père de Léa qui maudit depuis des années le vieux personnel politique, les ministères conservateurs et les belles paroles mensongères.

-- Le pain, la liberté, la paix ! proclame de son côté Georges, le syndicaliste proclamé, qui suit d'un œil vigilant dans son journal « l'Aube » les efforts de Léon Blum. Le chef de file des socialistes S.F.I.O. a décidé de prendre le temps de la réflexion pour constituer un nouveau gouvernement.

On oublie, provisoirement, que les troupes de la Werhmacht ont pénétré illégalement dans la zone démilitarisée de la Rhénanie tandis que l'Espagne est secouée par de violents troubles intérieurs où se distinguent, une fois de plus, des groupes fascisants.

-- Oui, on veut que le bonheur retrouve une nouveauté et une jeunesse, reconnaît Léa, mais qu'en est-il au juste ? Pour mes enfants, je voudrais surtout qu'ils puissent vivre dignement et dans la paix. Est-ce déraisonnable ?

-- Le malheur est près des gens, répète Clotilde, comme une litanie. Ils ne le voient pas venir mais c'est comme si ils attiraient la foudre avec leurs idées révolutionnaires.

En France, on parle surtout de dissolution des ligues d'extrême droite, de la défense de l'école laïque et des droits syndicaux… On s'attend aussi à une réforme de la Banque de France pour la soustraire à l'influence des « 200 familles » dont on craint les réactions et la fuite des capitaux vers l'étranger. Sur le plan social, on fait état de grands travaux, de la création d'un fonds d'assurance contre le chômage et de la réduction du temps de travail.

-- Quarante heures par semaine et deux semaines de congés payés par an, réclament les syndicats, La Confédération Générale du Travail (CGT) comme la CFTC, pour une fois, unis dans les mêmes revendications.

Les congés payés et la semaine de 40 heures, ce n'est pas une utopie.

Mais déjà le malaise s'installe. Des grèves éclatent aux Ets Bréguet, Latécoère et Bloch avant de s'étendre aux usines Renault.

Léon Blum, agrégé des lettres, intellectuel plus à son aise à Montparnasse que dans les meetings ouvriers, va régler tous ces problèmes, pensent les plus modérés. Il est vrai que si Blum montre le poing, dans les meetings, avec ses amis, il suscite chez les militants du Front populaire une vénération sans chaleur.

Ses décisions les mieux accueillies ne parviennent pas à supprimer complètement cette distance entre le peuple et lui. Le mouvement de grève s'étend, en juin, à tout le pays : bâtiment, cafés et restaurants, industries chimiques et textiles, transports et grands magasins cessent successivement le travail.

Un phénomène nouveau apparaît. Les 5 ou 6 millions de travailleurs qui veulent bénéficier tout de suite des avantages du Front populaire annexent désormais les usines, les ateliers et les bureaux. C'est l'occupation des lieux de travail.

Le soir, on aménage des dortoirs de fortune. Léa apporte à Georges, plus décidé que jamais à gagner le combat syndical et bloqué derrière les grilles de son entreprise, sa gamelle de haricots réchauffés et son pain d'une livre. Pour la boisson, on la trouve sur place puisqu'il s'agit d'une brasserie. C'est la grève sur le tas. « Une atteinte indéniable au droit de propriété », gémissent les patrons, déconcertés par cette nouvelle forme de revendication.

Des bals s'organisent au son de l'accordéon dans les cours d'usines ou sur les places. Les foules découvrent leur pouvoir et une nouvelle légalité naît dans les locaux occupés joyeusement.

L'usine aux chocolats et au pain frais

Jean-Pierre Rioux, dans le numéro spécial du « Monde » consacré au cinquantenaire du Front populaire a raconté comment des grévistes têtus et inventifs avaient tenu tête sept semaines à leur patron tout en faisant tourner leur usine.

Il n'a pas du passer très loin de l'attaque d'apoplexie, écrit-il. Quand on est patron, et de droit divin, et de père en fils, qu'on jouit de l'estime des gens de bien, on ne peut pas lire sans étouffer de rage un « poulet » comme celui-ci :

Monsieur,

Devant votre misère, les ouvriers de votre usine ont décidé de faire du pain. Nous vous envoyons un échantillon. Si vous le trouvez agréable, vous pourrez venir au ravitaillement tous les jours à 14 h 30. Nous regrettons pour l'instant de ne pouvoir vous donner un secours en espèces, mais cela viendra par la suite. Veuillez agréer, monsieur, l'assurance des salutations empressées des grévistes enthousiastes à votre service.

C'était signé : « le Comité de grève » et c'était adressé, avec deux pains frais, au patron de l'usine de chocolaterie Delespaul-Havez. On ne sait comment a réagi celui-ci à l'insolent billet.

Tout avait commencé un mois plus tôt, le samedi 6 juin quand 650 ouvriers et ouvrières de la chocolaterie avaient lancé le mouvement avec occupation des locaux. Ils suivaient en cela les blanchisseurs de plusieurs entreprises locales, avant les brasseurs, les tanneurs, les fondeurs de chez Cocard et de bien d'autres travailleurs. 2 300 salariés étaient en grève à Marcq-en-Baroeul à ce moment-là.

Les métallos, les sidérurgistes, les gars du textile, avaient bien débrayé et occupé les lieux. Pourquoi pas nous ? Pourquoi attendre alors que le Front populaire a gagné en pays cht'imi, que trois de ses élus siègent au gouvernement, Roger Salengro à l'Intérieur, Jean-Baptiste Lebas au Travail et Léo Lagrange aux Loisirs et aux Sports.

Pour la plupart des grévistes, grâce à un préfet vigilant, grâce au poids tout neuf d'une CGT qui engrange des adhérents par milliers, avec Roger Salengro qui couve de l'œil sa circonscription, les négociations vont vite. Les Pouvoirs Publics savent imposer leur arbitrage et les syndicats ont de bons chefs. Les communistes ont répété qu'il ne s'agissait pas de lancer le prolétariat français dans « un putsch sanglant ».

Surtout le grand patronat, celui des grosses firmes à stature nationale, a compris qu'il fallait faire le gros dos, rengainer pour l'instant tout esprit de revanche et donc négocier au plus vite. L'application locale des accords Matignon sera donc à peu près acquise le 15 juin. Tout pousse à la prompte reprise du travail dans le Nord. Partout sauf à Marcq-en-Baroeul.

Là, en effet, et particulièrement dans la confiserie, poursuit Jean Pierre Roux, c'est un patronat très paternaliste rompu aux vieilles pratiques de la surexploitation et du mépris qui n'entend pas subir l'affront. Il mise sur la division et l'inexpérience des grévistes où l'on compte beaucoup de femmes et des jeunes de 13 à 16 ans.

Tous les patrons de cette branche n'ont qu'un objectif : laisser pourrir, affamer les grévistes, refuser tout arbitrage du préfet et de Salengro. En fait, ne céder sur rien. On s'est donc installé dans la grève, de part et d'autre.

Les accords Matignon

A Paris, cependant, le 8 juin au matin, sont signés les accords à l'Hôtel Matignon. Ils consacrent la reconnaissance du droit syndical auquel, dans la pratique, la majorité des employeurs s'était opposée jusqu'alors, la généralisation immédiate des conventions collectives qu'avaient refusées obstinément les organisations patronales, l'institution des délégués d'ateliers, la renonciation à toute sanction à l'égard des grévistes, une augmentation générale des salaires de 12 % en moyenne, exception faite pour certains salaires anormalement bas et qui recevaient une majoration spéciale.

-- C'est parfaitement juste, approuvait Albert Brailly qui n'avait pas osé s'aventurer dans le mouvement en cours car « les Magasins généraux » ne disposaient pas d'un personnel nombreux et déterminé, susceptible de peser dans la balance. Et puis il craignait aussi qu'on ne supprime le poste de concierge que tenait son épouse. Le logement de fonction n'était pas grand, certes, mais une fois éliminé par la suppression du poste où la famille allait-elle s'installer et dans quelles conditions ?

Son beau fils Georges ne manifestait pas les mêmes craintes. Quatre enfants, six bouches à nourrir, d'accord ! Mais il fallait que ça change. Il le disait assez abruptement à la brasserie, aux frères Dupont qui faisaient profil bas. Il applaudissait aussi les mesures prises deux semaines plus tard à savoir le congé annuel payé de quinze jours, la semaine de quarante heures et l'application immédiate de tout ce qui avait été conclu auparavant.

Pourtant, en juillet, c'est à dire un mois après, les grévistes de Delespaul-Havez qui se sont syndiqués en masse dans l'intervalle, tiennent toujours. L'attente se fait insupportable. Les autres travailleurs du secteur qui avaient repris leurs activités, par solidarité, débrayent de nouveau. La municipalité s'inquiète. Les stocks de marchandises périssables vont se gâter.

« Tant et si bien, continue Jean-Pierre Roux,, que, passant outre aux conseils de prudence des syndicats, les grévistes qui ont envahi le bureau du patron - un crime de lèse majesté - où ils ont pu lire le montant coquet des dividendes distribués aux actionnaires les mois précédents, décident de remettre l'usine en marche pour sauver les marchandises. La caisse de grève sera donc renflouée par la vente au public des biscuits, petits pains et des plaques de chocolat. M. Franchomme, le patron, comprendra alors qu'il faut peut-être négocier. »

Dans la nuit on nettoie les ateliers de fond en comble. Les chaudières sont mises en pression. A l'aube le cri des sirènes retentit pour la première fois depuis des semaines. Les fours, les broyeurs, les étuves et les mélangeurs entament leur concert parfois discordant. Ça tourne !

« Bravo les gars ! On va lui montrer ce qu'on sait faire à ce grand patron qui ne croit en rien ni à personne. Nous ne sommes pas des manchots, encore moins des fainéants », affirment les grévistes, hilares.

Dans l'après-midi, le patron et les cadres font couper l'eau et l'électricité. Les ouvriers ne s'avouent pas vaincus. Les fours seront chauffés au bois et on sortira tout de même du pain frais qui sera offert à la population et, comme on l'a vu dans la lettre citée précédemment, au patron lui-même.

Ce coup de force fait monter la pression d'un cran. Roger Salengro est venu lui-même à Lille malgré les rigueurs de son emploi du temps. Un black-out est imposé à la presse locale. Le préfet ne sait plus où se fourrer. La CGT elle-même se trouve bien embarrassée.

Le 11 juillet, enfin, les patrons consentent à s'installer à la table des négociations pour signer un accord concernant tout le secteur alimentaire de la région du Nord. Mais les obstinés de Marcq-en-Baroeul refusent de reprendre le travail le 15 comme prévu dans les accords. Ils estiment que leurs salaires ont été si anormalement bas depuis toujours que le réajustement prévu dans la profession leur parait trop faible. Ils maintiennent leur occupation d'usine et continuent de produire.

Salengro ne décolère plus. Le gouvernement ne peut plus accepter cette situation et la garde mobile fait évacuer les récalcitrants.

La solidarité s'organise de nouveau. Les travailleurs des alentours menacent de reprendre le mouvement de grève si un arbitrage n'intervient pas. Le 24 juillet, les responsables de l'entreprise Delespaul-Havez acceptent que les salaires soient « alignés à Marcq-en-Baroeul sur la moyenne départementale de la profession ».

« Le samedi 25, clique et drapeaux en tête, conclut Jean-Pierre Rioux, les grévistes viennent remercier la municipalité qui les a beaucoup aidés. Puis on danse, on rit. Le 27, un lundi à 6 h 45, les sirènes redonnent de la voix. On rentre chez Delespaul-Havez. »

Ce fut la plus longue et la plus spectaculaire grève de cet été 1936.