Dans le Val de Loire |
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Mercredi 14 septembreChère Mimi, Nous voici dans la Mayenne, toujours pédalant mais de plus en plus costaud pour grimper les côtes des " Alpes mancelles " où les closeries s'enfouissent dans la verdure. Elle est d'ailleurs de moins en moins verte, presque paillasson car il n'a pas plu depuis des semaines dans ce coin de France.
Après Lassay, nous nous arrêtons au restaurant du " Grand Turc ".C'est la première fois qu'on voit çà : la patronne nous reçoit gentiment mais nous prévient qu'elle n'a plus jamais de clients. De ce fait, elle ne prépare plus rien et consent à partager son repas fait de pommes de terre à l'eau et de lardons. Comme dessert une grappe de raisins. Elle a accepté un billet de Le soir nous voit arriver, après Décor de toute beauté : le soleil couchant incendie les façades du monastère et dore la surface de l'étang. Vite, un peintre pour immortaliser tout çà. Dire que nous n'avons même pas un appareil photo pour se souvenir de cette soirée d'une sérénité sans pareille. Tous les quarts d'heure, la cloche tinte pour appeler les moines à la prière. Des complies, je crois ? Un profond silence retombe dans l'obscurité sur la campagne endormie. Une paix divine habite ces lieux qu'on voudrait ne jamais quitter pour couler des jours loin du monde et du bruit. Là-dessus je te quitte en t'embrassant de tout coeur Pierre Samedi 17 septembreMa chère Mimi Nous voici arrivés à Nantes. Deux jours de repos chez des parents de Jean . C'est nécessaire après notre équipée de deux semaines. Nous avons retrouvé un coup de pédale du tonnerre et nous arrivons à filer nos La ville qui s'étend, par monts et par vaux, au confluent de la Loire, de la Sèvre Nantaise et de l'Erdre compte 200 000 habitants. Elle a bien souffert des bombardements elle aussi, mais le port a été restauré en premier lieu. Il présente une activité très intense, ce que j'ignorais, car c'est un port qui reçoit les navires de haute mer venant des Antilles et de l'Amérique Latine. Les chantiers maritimes construisent, à coups de tam-tam assourdissant, des coques de bateaux qui reçoivent ensuite l'accastillage à coups de chalumeaux. Très impressionnant ! Je dois t'avouer une faiblesse : qu'il est doux de paresser dans un lit alors que le soleil tape sur la verte jalousie. Les bruits de la rue prouvent l'agitation citadine et tu restes là à rêvasser dans une sorte de torpeur béate. Je songe aux étapes précédentes où il fallait se sortir du sac de couchage, pieds nus dans l'herbe humide, plier la tente et allumer le réchaud à alcool pour le petit noir du matin. Ensuite tirer sur le guidon en forçant sur les pédales pour se hisser en haut de ces petits murs ou de ces grandes côtes qui s'allongent à n'en plus finir. Hier, en se baladant le long de l'estuaire, histoire de ne pas perdre le rythme, nous avons rencontré un jeune homme de 17 ans, grand amoureux de la petite reine, Il l'avait tellement bichonnée qu'elle brillait comme un sou neuf. Elle était munie des derniers perfectionnements de la technique vélocipédique ; double plateau, tendeur de chaîne, dérailleur 4 vitesses, roulements caoutchoutés, cale pieds gainés de cuir et guidon de course. Le nec plus ultra ! Il nous invite à le suivre et commence un véritable sprint, avec un 50 x14 à étonner Vietto et Robic dans la dernière étape du Tour de France. Il se retourne et nous demande : -- Alors les gars, çà ne va pas trop vite ? --Non, lui répond-on, çà roule. On continue Il n'a pas tenu cinq kilomètres, ralentissant l'allure, puis se relevant. Soufflant comme un phoque, il nous a dit : " Allez, bonne chance, vous êtes de vrais pros ". Et il a fait demi-tour. Il n'avait pas l'âme d'un cyclo-touriste. J'ignore ce que tu deviens de ton côté. Tu vas avoir bien des choses à m'écrire quand nous serons de retour à Lille. Je serait toujours heureux de te lire. A Bientôt. Vendredi 23 septembreBonjour ma chère Mimi
Nous voici revenus au logis. Les vélos ont été nettoyés et huilés pour passer l'hiver. Le journal de bord est achevé et relate tout ce qui nous est arrivé sur les Je ne vais pas tout te décrire car ma lettre ferait 10 pages . Seulement les grandes lignes du dernier et troisième parcours. La route des coteaux de la Loire est une merveille de douceur et de beauté. Le fleuve, grande traînée bleue s'insinue entre des bouquets d'arbres plantés dans des îlots de sable blond. De temps à autre, en remontant vers Saumur, un vieux donjon crénelé rappelle qu'il existait là des châteaux fortifiés. De petites maisons blanches aux toits d'ardoise s'agrippent aux coteaux plantés de vignes. Après le muscadet, voici le terroir des vins d'Anjou, veloutés et sucrés, que l'on déguste avec modération. Il rend la bouche pâteuse et les jambes en coton. Les gens du pays nous disent que la Loire a bien baissé avec cet été si chaud et si sec. Elle est à Ca n'empêche pas de faire des bêtises. En dévalant une petite côte et me laissant emporter par la descente sans freiner, je dérape sur du sable, un peu avant Angers, et me retrouve sous ma bécane après un vol plané d'une vingtaine de mètres. Grosse émotion mais pas de bobo. La fourche avant , elle, est tordue. Il faudra faire réparer. Nous allons perdre une demi-journée à Sorges. Heureusement il y a là un restaurant-hôtel-garage " le Chalet " qui propose des repas fixes à Le lendemain nous avons couvert l'étape Saumur-Vouvray comme une fleur. Mais horreur, à quelque Pour compléter notre désarroi, une pluie fine se met à dégouliner du ciel gris. Ah ! Touraine, le jardin de la France tu nous accueilles tristement. Nous arrivons au " Vaufuget " trempés comme des soupes. Le porte bagages a été rafistolé avec des ficelles mais il est impensable de poursuivre dans cet équipage. Il faut d'abord songer à le ressouder. La patience est une des vertus indispensables au voyageur. Fort heureusement, pour nous consoler restait le vin de Vouvray, un délice de gourmet, qu'il soit tranquille ou effervescent. Je sais que tu n'apprécies pas beaucoup le vin ou l'alcool mais il faut reconnaître à ce " vin de taffetas ", comme l'appelait Rabelais, des qualités exceptionnelles de douceur avec un parfum d'acacia et un goût de coing. Nous avons fait moult haltes chez le père Favreau dont le jardin recelait des pêchers de vigne et la cave de vénérables bouteilles. Il en a débouché une pour nous de 1904. Ce nectar vermouthé faisait bien 18 à 20° et surpassait les portos blancs de fameuse réputation. J'en ai encore le parfum dans les narines en t'écrivant. J'ai récupéré mon vélo chez le charron du village mais il m'a conseillé de ne plus "convoyer" - c'est son expression - de bagages aussi lourds sur un support trop fragile. Je me suis contenté de reprendre la route, sans équipement, pour visiter les principaux châteaux de la région : Amboise et ses créneaux dentelés, Chenonceaux si élégant en enjambant le Cher, la pagode de Chanteloup, les jardins de Villandry, enfin tout ce qui fait la réputation de ce jardin de la France. Il était hors de question de remonter vers le Nord avec un vélo disloqué et un paquetage maintenu par des ficelles et des courroies. Jean n'avait plus le moral. Nous décidâmes de rentrer par le train. Peut-être peu courageux mais certainement plus sage. Au lieu des J'espère que cette relation d'une chevauchée cycliste ne t'a pas trop ennuyé. Tu me le dis franchement et j'attends de tes nouvelles avec impatience. Car je ne sais guère de choses à propos de ta nouvelle installation dans les bureaux militaires des Troupes d'Occupation en Allemagne. D'après ce que j'ai pu savoir, les foyers de la troupe et les mess regorgent de bonnes choses pas chères ? Est-ce vrai ? Bises Pierre
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