Le 24 décembre

Ma chère Mimi,

Finalement je ne suis pas allé en prison. J'ai bien écopé de 20 jours pour impertinence mais on ne m'a pas flanqué en cellule avec les Sénégalais qui ont provoqué une bagarre monstre au Foyer du Soldat, ni avec les quelques troufions qui sont passés au Tribunal pour avoir volé ici et là.

Jeudi 21 janvier

Ma chère Mimi,

Je te présente toutes mes excuses pour ne pas t'avoir adressé de voeux pour la nouvelle année. Mais je n'ai pas trouvé de papier ni de cartes illustrées à l'infirmerie où je suis consigné depuis le début du mois. Et puis, pendant tout un temps j'ai perdu la vue, incapable d'écrire et dans un brouillard permanent. Je t'explique çà plus loin.

Les lettres, jusqu'au début mars, manifestent un fatalisme résigné et ne présentent guère d'intérêt. Le candidat au peloton s'est payé 23 jours d'infirmerie et  a pris un retard considérable sur ses petits camarades. Les jours se suivent et se ressemblent : maniement d'armes, école du soldat, cours d'armement, étude du règlement intérieur à réciter par coeur, simulacres de combat à l'arme automatique. Impression de monotonie et de stérilité car la même matière est rabâchée dix fois, vingt fois  avant de passer à la suivante. C'est l'armée où le nivellement se fait par la base.

Le 29 mars

Chère Mimi

Joie ! Joie. Tout est merveilleux. Je ne réalise pas encore la chance qui m'est échue.  Je viens d'être muté à Rabat, comme secrétaire d'Etat-major chargé du service de presse au 2ème Bureau. Adieu, la caillasse, le djebel, les baraques rafistolées du camp d'El Hajeb, les coups de gueule et  le peloton.