Péripéties catalanes |
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1er OctobreSalut Mimi ! Merci pour ta charmante lettre qui m’annonce tes fiançailles. Toutes mes félicitations. J’ignorais ton arrivée dans le beau monde de la noblesse à quartiers. Il n’y a que dans « le Figaro » qu’on déniche des vicomtes avec particules comme ton promis.
J’ose croire que tu m’en diras plus dans une prochaine correspondance car tout ce qui concerne ta vie, même sentimentale, m’intéresse, me touche et m’émeut. Nous sommes amis depuis si longtemps maintenant que nous n’avons rien à nous cacher
Montpellier est une belle ville, animée comme toutes les grandes cités du Midi, indifférente à la modernité pour conserver une certaine qualité de vie. Voilà l’impression que j’en retire des quelques heures passées à flâner dans les vieux quartiers Etonnante succession de demeures aristocratiques et de maisons grandes bourgeoises, austères parfois mais luxueuses côté cour quand on jette un coup d’œil. Je suis curieux, tu le sais et je ne résiste pas à m’attarder quand l’occasion se présente. Dans le soir gris bleuté, à la sortie de la ville, je tombe sur un barrage de police. Les fonctionnaires de la Régie contrôlent les camions. Je leur demande de m’aider à trouver un moyen de gagner Perpignan. Chance : celui-là, un Berliet tout neuf, s’en allait chercher des fruits et légumes dans le Roussillon. Le patron n’osa pas décliner l’invitation. Ce n’était pas un grand causeur, d’autant qu’il faisait brailler son poste TSF qu’il venait de faire installer avec l’achat du véhicule. A 1 heure du matin, je mettais le pied devant le Castillet, la seule porte fortifiée qui subsiste et date du XIV ° . J’ai trop sommeil et je déniche une chambre à l’hôtel Clémenceau pour 500 f. Aïe ! mon viatique commence à fondre. Inutile de penser à faire du stop jusqu’à la frontière espagnole. Avec les touristes qui filent vers le Sud, c’est une entreprise très aléatoire. En général, monsieur et madame aiment à voyager sans encombre, les bagages entassés sur la banquette arrière ou avec leur nichée braillarde, le nez écrasé sur la vitre. Les Français voyagent par couple. Les Belges, les Néerlandais et les Allemands circulent en bande dans une fourgonnette ou une voiture six places dans laquelle ils mettent huit passagers. Finalement, je me résous à prendre l’autobus. « Les cars verts » me déposent à la frontière où CRS, Gendarmes, douaniers attendent les voitures particulières étrangères.. Je suis le seul piéton à présenter les papiers et on me regarde d’un drôle d’œil. Les routards ne sont pas très appréciés dans le secteur. Même suspicion de l’autre côté de la barrière, une centaine de mètres plus loin. - Pardone senor, voy a Sils ! Je cherche un moyen pour m’y rendre. Les alguazils et les douaniers, en vert de gris surchargé de chamarures dorées ne semblent rien comprendre à mon charabia. Un gros coup de tampon sur le passeport et ils me font signe de dégager. C’est la catastrophe dans ce coin perdu des Pyrénées où ne passent que des voitures de touristes et quelquefois une guimbarde immatriculée Spain. Je constate que le stop ne marche pas chez le généralissime Franco. Les possesseurs de voitures sont si rares dans le pays qu’ils en tirent un orgueil démesuré. Ils penseraient déchoir en faisant bénéficier les sans le sou des plaisirs de l’automobile. J’ai gagné le premier village La Junquera à pied. Nouveau contrôle douanier et policier. Nouvelle demande sans succès. Il est 14 h et le pays , écrasé de lumière, dort sous un ciel d’un bleu immuable. Si la chaleur est palpable – il fait bien 30° à l’ombre quand il y en a – l’accueil est plus que frais. Je ne détaille pas les tentatives avortées du pouce levé pour parvenir à la première ville Figueras, chère à Salvador Dali. Il est enterré, ici, dans son musée, l’un des plus fascinants et des plus délirants de tous les musées du monde. Mais j’ai d’autres soucis que de musarder dans les fantasmes du célèbre artiste. Je décide de prendre le train pour faire les derniers 60 kilomètres jusqu’à Sils but de mon équipée. Le wagon, déglingué, ne comporte que quelques banquettes disposées un peu au hasard, séparées par de vastes intervalles de planchers rafistolés. Je ne peux même pas récupérer en somnolant, car les cloisons se hérissent de tiges, de vis et d’aspérités qui rentrent dans les côtes. Impossible de m’appuyer à l’aise. A Gerone je décide de poursuivre jusqu’à la station suivante pour me rapprocher de Sils. Mal m’en prends. Un contrôleur se présente. Mon ticket n’est plus valable. J’essaye bien de jouer les abrutis, celui qui ne comprend rien à rien et qui dormait à l’arrêt de Gerone. Le contrôleur exige en frottant son pouce à l’index. C’est un signe que chacun connaît : il faut payer. Je n’y coupe pas. Amende de 10 pesetas. La chance m’abandonne. Et pour tout dire, ma chère Mimi , je suis un piètre explorateur car j’ai omis de prendre une carte détaillée de la Catalogne. Je suis perdu à Sils où personne ne connaît « le Touring Hôtel ». En fait, après bien des palabres, un quidam me dit « Touring Hôtel, far aqui, à cinco kilomètres. De fait, Alain m’avait bien précisé : tout le trafic passe devant chez nous. Oui, la route nationale qui mène à Barcelone est, bien sûr, sur le territoire de Sils mais elle est tout à l’extrémité de la commune. Je finis mon voyage à pied, vanné, rompu, en nage, avec mon baluchon sur le dos comme un vulgaire trimard. Alain et ses parents qui tiennent l’hôtel-restaurant m’accueillent au coucher du soleil. J’ai tellement soif que je bois des litres d’eau à la pomme de douche. J’ai dévoré comme un ogre, une omelette de 6 œufs et une salade entière. Les émotions, çà creuse. Et puis j’ai dormi douze heures. Je me suis remis rapidement de mes fatigues . Avec Alain nous avons étudié, cartes à l’appui, les différentes étapes de notre itinéraire : de Paris à Istanbul d’abord puis d’Ankara jusqu’au nord de l’Irak, Mossoul puis Téhéran en Perse. Parfois il m’arrive de rêver, seul, à la terrasse de l’hôtel fréquenté surtout par les militaires américains qui occupent une base aérienne importante, un peu plus au sud. C’est qu’Alain ne dispose pas de beaucoup de temps libre. Il est de service de 8 heures du matin jusqu’à plus de 22 heures le soir. J’ai bien offert mon concours mais on m’a vite fait comprendre que je ne connaissais rien à la restauration ou aux exigences du bar. C’est vrai qu’il n’est pas facile d’être hôtelier-restaurateur. Il ne suffit pas seulement d’attirer le client. Il faut aussi satisfaire ses moindres caprices, veiller à ce qu’il ne s’impatiente pas, observer les moindres détails et garder la tête froide aux moments de la grande presse.. Le coup de feu du midi et du soir, il faut l’affronter sans perdre les pédales. J’observe Alain dans ces instants là, car il va être mon co-équipier durant au moins 6 mois. Je note les traits de son caractère car il me faut l’accepter tel qu’il est, surtout au moment des difficultés qui ne vont pas manquer au cours de notre « excursion » . J’ai passé cinq jours au Touring- Hôtel.. La maman d’Alain a toujours été aux petits soins pour moi. Pas son père qui me regardait d’un œil noir parce que j’allais emmener son fils dans une aventure sans profit. Surtout il allait être privé d’une aide pendant le temps de notre périple et n’avait pas l’intention d’embaucher . Bref, j’étais le fouteur de merde ( excuse le terme). Le dernier soir est arrivé Chris. Homme d’une quarantaine d’années, élégant, raffiné jusqu’au bout des ongles, il a commandé un repas et au bar, a souhaité passer la nuit dans une chambre « confortable ». Je me trouvais juché sur le tabouret d’à côté et j’ai engagé la conversation car il parlait aussi bien l’espagnol que le français. J’ai donc appris qu’il était diplomate attaché à l’OTAN, qu’il venait de Lisbonne, avec une voiture marquée du CD ( Corps Diplomatique) et se rendait en Allemagne, pour une autre conférence. J’ai tout de suite flairé la bonne occase pour la route du retour. Obligé sans aucun doute de traverser la France, du Sud au Nord, il me prendrait comme passager si je parvenais à l’amadouer. Si j’avais su ! Je te raconterai la suite dans une prochaine lettre car il me faut reprendre le boulot au journal . L’actualité n’attend pas et le journal tombe à 24 heures du lundi au samedi soir. Je t’embrasse Pierre
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