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25 Septembre 1952

Chère Mimi

J’en reviens pas ! Quelle aventure ! Je n’entre pas dans les détails. Je la raconte en gros car j’en ferais un récit plus complet ultérieurement.

Je devais partir dans un camion d’un grossiste à légumes qui se rendait,  dans le sud de la France . Presque un voyage organisé, sur mesure. C’était trop beau. Le chauffeur avait pris la route une heure avant le rendez-vous fixé. Loupé !

 

J’ai essayé le stop à la porte d’ Arras, à la sortie de Lille. Aucune voiture n’a répondu à mon coup de pouce. Le «  Stop » c’est fini.

Finalement j’ai accroché un chauffeur-routier. Réticent tout d’abord,  il consentit à me prendre après m’avoir rétorqué qu’il avait déjà été attaqué par un routard, quelques mois auparavant. Il partait pour Dijon au volant d’un 30 tonnes chargé de sacs de chicorée. Il était 16 heures ce vendredi là.

150 km plus loin, du côté de St Quentin, un voyant rouge s’allume au tableau de bord.  « Pneu dégonflé ! ». Premières opérations : dégager la roue de secours, placer le cric, le lever  à la force des bras, dégoujonner la roue amochée. Bref , je commence à comprendre ma douleur en aidant ce brave routier dans ce boulot de bagnard.

Il fallait réparer la chambre à air. Nous étions à Vendeuil, à 20 h et le garagiste ronflait sans doute car il n’a jamais ouvert sa porte. Il fut décidé de dormir sur place. Nuit difficile dans une cabine inconfortable.. Le garagiste apparut sur le coup de 8 heures . Le troquet du coin nous accueillit pour un petit déjeuner rural : du  pain frais et des sardines avec une bouteille de blanc. Mon chauffeur avait l’habitude de ce genre de menu. Pas moi. Mais il fallait bien faire mauvaise fortune bon cœur.

La réparation  terminée nous reprenons la route dans le ronflement puissant du moteur Berliet 95 chevaux et quatre cylindres Diesel.. Il est 10 h, ce samedi matin et il fait merveilleusement beau.

Manque de bol, le voyant rouge s’allume à Crépy en Laonnois. Encore une crevaison ? Non, en fait c’est la chambre à air qui n’est pas à la dimension du pneu et qui s’échauffe au fil des kilomètres. Le garagiste local n’a pas le matériel adéquat. Il faut réparer une fois de plus. Pour repartir dans l’après-midi et crac !  après Reims, nouvelle crevaison. A Troyes, idem. Puis à St Marc sur Seine.

Je n’en peux plus de fatigue. Sale, la barbe hirsute, les yeux tirés de fatigue, les vêtements fripés et les ongles en deuil, je démonte pour «  la nième fois » la roue de secours rafistolée, pour la remettre à la place de l’autre, hors d’état de rouler.

Ce n’est pas possible de travailler comme çà dans des conditions inhumaines.

A 2 heures du matin, je m’écroule dans la cabine. Mon chauffeur est admirable. J’ai reçu de lui la plus belle leçon de ma vie. Il démonte et remonte les roues avec persévérance. Sans râler contre la malchance. Sans jurer contre le patron qui lui a confié un matériel de merde.

Il a changé huit fois de roue à chaque fois que le voyant rouge indiquait   « moins de 5 k 5 de pression dans la chambre ». Il a débloqué et bloqué je ne sais pas combien de boulons, soulevé des roues qui pesaient au moins 50 kilos, s’est coincé les doigts et attendu le bon vouloir des garagistes sans jamais se plaindre du mauvais sort.

J’envie ce genre d’homme mais je ne suis pas capable  de l’imiter.

Radar004Je l’ai quitté le dimanche  vers 14 h après avoir bu un coup de rouge sur le pouce. Deux jours et deux nuits pour rallier Lille à Dijon c’est pas un record mais je  tire un coup de chapeau à ce vaillant soldat de la route.

Maintenant il faut viser l’Espagne au plus vite. Je  deviens passager d’une 2CV pour traverser le vignoble le plus célèbre du monde : Nuits St Georges, Gevrey-Chambertin, Chambolle-Musigny ; Clos Vougeot et j’en passe. Cà te dit quelque chose ?

La chance est avec moi. Après Beaune , une superbe 15 CV Citroen s’arrête. Un représentant de commerce qui roule le dimanche pour être à pied d’œuvre le lundi matin du côté de Nïmes. Il roule à 100 à l’heure. Ca me change du 35 tonnes et de la 2 CV poussive.

Il me débarque à Vienne, dans le département de l’Isère – ce que j’ignorais -.

Je crève de fatigue et trouve un petit resto. Manger et dormir : quels délices !

Bien remis de mes fatigues, me voilà, le lundi matin, sur le bord de la route, le pouce levé. . Une 203 me fait descendre le couloir du Rhône et traverser les garrigues du Gard. Je me rapproche de mon but : l’Espagne. Un soleil de plomb tape à pleines mailloches sur ces monticules caillouteux qui font penser à la sierra ou aux westerns du Texas.

Je me retrouve, seul, à quelques kilomètres de Montpellier quand une vieille guimbarde stoppe devant moi. Elle est allemande. C’est un étudiant qui vient de Berlin et qui pense s’inscrire dans une faculté dans cette grande ville universitaire.

Formidable tout de même ! L’Europe commence à se profiler grâce aux échanges des jeunes intellectuels. Mais elle aura du mal à s’imposer car les préjugés sont encore tenaces. Mon étudiant parle le français difficilement et il sait que les Méridionaux ne lui feront pas de cadeaux.

Je l’invite à déjeuner mais il décline poliment. . J’ai faim et je baffre dans un caboulot de Montpellier pour 300 f alors que j’aurais payé au moins le double dans un troquet du Nord.  La vie est tout de même moins chère dans le Midi. Le patron me confie que le litre de vin est à 20 f ici. On le paie 100 f chez nous.

Je m’arrête ici, ma petite Mimi, pour ne pas te lasser. Compte sur moi pour te narrer dans quelques jours, la suite de mes péripéties. Bises.

Pierre