Accueil Coucou ! C'est Radar Un conte de Noël
Un conte de Noël Imprimer Envoyer

Le 20 décembre

Ma chère Mimi

Voilà nous sommes rentrés au bercail. La vie continue. Nous sommes trois, désormais et il va falloir changer nos habitudes en fonction de « cht’iot ».

Tu t’en doutes, cht’iot, c’est du picard. Il va falloir que je mette à la langue locale. Il m’est arrivé, dernièrement, d’aller en reportage dans la campagne et d’interroger des gens simples qui me répondaient en patois. Je n’ y comprenais rien.

 

Les linguistes du coin, très puristes, affirment que les picards ont gardé le vieux français. A ceux qui prétendent que ce patois est du français déformé, ils rétorquent que c’est, au contraire, le français actuel qui est du vieux français transformé.

Je ne vais pas me lancer dans la bagarre. C’est périlleux mais je me promets de me mettre au picard. (Et pas au Ricard !!)

Je reviens à notre nouveau-né. La cérémonie du baptême a eu lieu dimanche dernier. Les membres de la famille s’étaient donné rendez-vous à Amiens (sauf mes beaux-parents retenus par leurs séances de cinéma à Loos lez Lille).

Ça n’a pas été facile car les restrictions d’essence empêchent en ce moment les déplacements. Tu sais sans doute que le lieutenant-colonel Gamal Nasser a nationalisé le canal de Suez. Que les Français et les Britanniques ont lancé 90 000 hommes, des navires et des avions dans l’opération « Mousquetaire. ». Puis ont débarqué sur Port Saïd alors que l’ONU exigeait le cessez le feu. Quelle histoire !

Le canal rendu impraticable par l’Egypte a entraîné un déficit dans l’approvisionnement du pétrole. Un rationnement a été décidé par la France en novembre dernier. Les possesseurs de véhicules ont droit à une allocation de base de 30 litres par semaine pour les plus de 5 CV et 20 litres pour les autres.

Des tickets ont été imprimés et distribués dans les mairies. Evidemment, le parrain, André Lepart, ami de jeunesse de Lika est arrivé le réservoir à sec, espérant que je pourrais le dépanner. Je lui ai donné mon attribution du mois. Ma petite 4 CV restera au garage jusqu’à l’année prochaine, faute de carburant.

Après la cérémonie au cours de laquelle Pascal donne un aperçu de ses forces vocales en un concert plutôt discordant, tous participèrent à une petite réception dans notre appartement de la rue de Castille.

J’ai découpé les horoscopes ayant trait au Sagittaire et à ceux qui sont nés le 5 décembre. Je les recopie : « Les enfants nés ce jour admettront d’assez mauvaise grâce les contradictions, les strictes disciplines, les restrictions financières mais auront cependant les qualités nécessaires et suffisantes pour une réussite finale. Ils connaîtront de nombreuses satisfactions dans une vie affective pour le moins fertile en événements ( !) mais souvent trop agitée car leur manque de calme aura des effets désastreux ».

Eh ! bien, ça promet.

Autre sujet de satisfaction. Le rédacteur en chef vient d’accepter le conte de Noël que j’avais écrit, durant les longues soirées passées à l’AFP.

Il s’intitule « le Noël de la Marquise » et sera publié, avec illustration, dans la page spéciale du 25 décembre.

Je raconte une histoire vraie qui s’est passée voici 4 ans et que m’avait racontée un inspecteur de police de Loos lez Lille qui passait ses dimanches de permanence au cinéma « Excelsior ».

C’était un détenu de la Maison d’Arrêt qu’on appelait « la Marquise » à cause de son air distingué, aux manières un tantinet précieuses et de son langage qui détonait avec celui de la prison.

Il avait été condamné à cinq ans de réclusion pour émission de chèques sans provision et escroqueries diverses. Il venait de s’évader de l’infirmerie, un soir de Noël, et se retrouvait dans le centre-ville, les yeux éblouis par les vitrines crachant des lumières clignotantes.

Avec le peu d’argent qui lui restait, il a acheté des menus cadeaux pour sa femme et ses trois enfants.. Il arrive dans la banlieue, grimpe les quatre étages de HLM et se retrouve sur le palier face à un policier. Sa fuite avait, déjà, été signalée.

Mais ce policier avait un cœur. Il consentit à laisser « la Marquise « embrasser sa femme et ses enfants et avant de l’emmener rejoindre sa cellule laissa quelques billets sur la table de l’appartement –« Pour faire réveillon », avait-il ajouté en bredouillant.

Je ne serai pas rétribué « à la pige « comme on dit dans le métier parce que dans une coopérative ouvrière, on se doit de travailler 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au profit de tous les collaborateurs du journal. Pas de favoritisme. Pas de passe-droit. Je me suis incliné. Est-ce que je vais râler pour une « pige » de 100f alors que je touche un mois double tous les deux mois ?

Je te quitte en te souhaitant un joyeux Noël ainsi qu’à ton mari. Donne-moi de tes nouvelles.

Pierre