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25 MaiChère Mimi, J’ai retrouvé le moral. Non pas parce que les beaux jours arrivent et qu’ils seront, je l’espère, plus ensoleillés. Mais parce que j’ai beaucoup de chance. Elle me suit, elle me survole, elle me caresse sans que j’en sois toujours conscient. C’est comme une histoire d’ange gardien auquel je ne crois plus depuis longtemps. Mon père s’en remettait au sien en grand chrétien qu’il était.
Jusqu’au jour où, après avoir eu le permis de conduire à 52 ans, il a eu un accident sur la route de Bailleul avec la 203 Peugeot de son service. Il a admis que son ange gardien était descendu peu avant parce qu’il estimait que le conducteur ne prêtait pas assez d’attention à la circulation. C’est un point de vue que je ne partage pas. Mais venons-en à la chance ! Voilà, il y a une semaine je reçois une grande enveloppe de Rabat marquée à gauche, en grosses lettres : « Centre de Documentation et d’Orientation. Direction de l’Instruction publique au Maroc » Bigre ! Sur papier vélin, la lettre m’annonce que j’ai obtenu le 1er prix du concours de l’association générale des étudiants, le prix Huc 1952. Tu parles, je saute de joie car elle est accompagnée d’un chèque de 2 500 f. Je me souviens que lors d’un bal des étudiants en janvier j’avais raflé au passage un genre de tract qui organisait un concours, aux moins de 25 ans, pour des photographies, des dessins, de la poésie et de la prose. Je n’étais pas étudiant à Rabat mais j’avais sous la main, une nouvelle qui s’intitulait « Jeunesse sans pitié ». A tout hasard, j’ai tenté le coup sans préciser que j’étais militaire et pour ne pas me trahir j’ai donné mon adresse dans le nord de la France. Dactylographiée sur 4 pages, elle racontait l’histoire d’un prof de la Faculté des Lettres de Lille, chahuté par ses élèves, qui, lors d’une St Nicolas débridée, avait été victime d’une énorme farce concoctée avec les étudiants de la Fac de Chimie. Son bâton de craie avait été transformé en petit explosif de salpêtre, de phosphore et de soufre blanc. Chahut monstre, évidemment. Comme j’aime les rebondissements et que je plonge facilement dans l’émotion, j’avais ensuite imaginé que, veuf, il vivait avec sa petite fille Françoise, qu’il retrouve le soir, anéanti.. Plus d’emploi, plus de ressources ! Rayé de l’Université parce qu’ incapable à dominer ses étudiants, il songe à se suicider. Au dernier moment, un coup de téléphone . Une étudiante vient lui présenter des excuses et lui propose un travail de recherches pour une société historique présidée par son père. Happy end ! Ce n’était pas un morceau de littérature. Mais çà pouvait tirer des larmes à quelqu’un d’émotif. Le jury ne s’était pas trompé en me distinguant, dans le palmarès, joint au chèque, de Melle Agnès Cannes, 2ème prix, qui avait gagné un livre relié et un stylographe pour un texte intitulé « Comment Candide projeté par faveur spéciale de la Providence se retrouve dans notre monde moderne. » Déjà le titre n’incitait pas à une lecture plus approfondie. Il faut savoir capter l’attention de son public. En deux ans de journalisme sur le tas, j’avais appris çà. Attaquer son sujet, ferrer dès les premières lignes pour que le quidam aille plus loin curieux de connaître la suite. Comme je ne suis pas un type reconnaissant, j’ai regretté, tout de même, de ne pas avoir obtenu le chèque pendant mon séjour sous les drapeaux. Il m’aurait été bien utile pour me saper » grande classe », veston croisé et chemise de soie, avec chaussures ad hoc. Je suis revenu en métropole comme un clochard avec les fripes que je portais au départ. Ca faisait minable ! Il n’y avait pas de quoi sortir l’étiquette. Il y a longtemps qu’elle avait disparu dans les lessives. Lorsque j’allais me pointer dans les bals de l’Amicale des Provinces ou des Médaillés Militaires, j’enfilais le plus souvent les effets civils de copains sous-off de carrière. Chemise en nylon et pantalon de coton léger, ils convenaient mieux au climat « r’bati » que le pull en laine, tricoté par ma grand- mère et un fendard en tire-bouchon. Pour emballer, il ne faut pas être cucul-la-praline, c’est bien connu. Pour te dire ma bonne étoile, je vais te raconter ce qui vient de m’arriver. A ne pas croire ! Début juin, une invitation parvient au journal. Elle émane de « la Fédération », mouvement fédéraliste français. Son but ? Associer l’opinion publique à une tentative d’unir directement par des liens spéciaux un certain nombre de villes européennes de pays différents. Cette « Fédération » organise à Bellagio, en Italie, sur les bords du lac de Côme, une rencontre des rédacteurs en chef de la plupart des quotidiens régionaux qui durera 5 jours.. Le rédacteur en chef de « la Croix du Nord » n’a pas de temps à perdre surtout à l’orée des vacances. Celui de « la Voix du Nord » non plus. Ils délèguent la mission à deux de leurs collaborateurs avec consigne d’envoyer un « court papier » chaque soir sur les travaux de cette rencontre au sommet.. Me voilà embarqué dans une aventure que je n’oublierai pas de sitôt. Déjà une semaine en Italie, ce sont des vacances gratuites. Sur les bords d’un lac enchanteur, c’est le rêve. Je suis désigné et mon confrère de « la Voix du Nord André B, un joyeux drille devenu un ami au fil des rencontres, est de la partie. C’est plus qu’inespéré. Je ne raconte pas le voyage , émaillé de péripéties grand- guignolesques. Nous prenons d’abord, le Calais-Bâle, (en 2ème classe), pour nous retrouver, dans le compartiment, avec 3 jeunes filles qui partaient en Suisse. Le collègue noue une petite idylle avec l’une d’entre elles, descend sur le quai pour faire ses adieux . Ils sont si éperdus qu’il oublie le Bâle-Milan qui part sans lui. Me voilà seul avec ses bagages et les miens. Je ne le retrouverai que le lendemain, à l’hôtel de Grande Bretagne, lieu de notre séjour. Je n’ai jamais su comment il était parvenu à rejoindre la capitale de la Lombardie.. Plus âgé que moi, c’était un fortiche dans le genre, un sacré cavaleur qui avait une plume facile. Il excellait dans les billets rosses ou roses selon les jours. Me voilà donc, solitaire et perdu, sur un quai de gare à Milan, deux valises à la main, plus une machine à écrire en bandoulière, dans la cohue des rédacteurs en chef, costume croisé et nœud papillon, qui viennent de partout en Europe. « Nous étions comme deux vulgaires canards dans un vol de cygnes », reconnut mon collègue qui avait retrouvé sa machine à écrire sur laquelle il n’a jamais tapé une seule ligne durant tout le colloque. Il lisait ses notes au téléphone dans la foulée et parvenait à retomber sur ses pieds comme par miracle.. Des mariol comme lui on n’en trouve plus beaucoup. Moi, consciencieusement, je rédigeai mon article chaque soir vers 18 h pour les dicter à la sténo : « Qu’il fait chaud à Bellagio, où tout vous incite au dolce farniente. L’eau du lac brasille sous le soleil et la plage du Lido rassemble toutes les beautés juvéniles, les mamas et les enfants. Les seuls à travailler ici sont les rédacteurs en chef et les journalistes politiques de tous les quotidiens de l’Europe Occidentale. Français, Italiens, Allemands, Belges, Néerlandais ou Luxembourgeois suivent les exposés des « observateurs » de la future « Europe Unie ». Une sorte de conférence de presse permanente. Qui présente, cependant, un côté radieux puisque les vieux routiers de la profession admettent qu’on leur a rarement offert un reportage aussi attrayant malgré l’austérité du sujet. ».
Car, tu peux me croire,, d’hôtels en résidences, de palais officiels aux galas, sans omettre les raouts privés, nous avons vécu comme des princes. Je ne sais pas qui payait ces réceptions mais les rédac chef semblaient avoir l’habitude de pareilles soirées bien arrosées avec maîtres d’hôtel et serveuses en grande tenue. Comme disait une de mes consoeurs de « Nord Matin : « Pour être un bon journaliste, il faut d’abord être curieux. Mais aussi et surtout avoir un bon foie ». Fort heureusement la nature me l’a donné. Mon ami André B également. Ce qu’il a pu écluser durant ces 5 jours de cérémonies officielles ou officieuses est renversant. Dans tous les sens du terme. Je me suis toujours trouvé très à l’aise dans ces milieux de journalistes politiques ou de rédacteurs en chef. J’avais le privilège d’être le plus jeune de tous. Si je n’avais pas les plumes – mon seul et unique costume n’était pas sombre mais gris avec des rayures blanches – j’offrais le duvet. Nombre de ces vieux routiers de la plume diplomatique se délectaient à multiplier conseils et anecdotes à ce jeune freluquet qui les écoutait, un verre d’« Asti Spumante » à la main, qui, peut-être leur rappelait leur jeunesse, celle d’avant la grande tourmente de 1939-45. A plus tard ! Je t’embrasse. Pierre
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