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Amour, coquillages et crustacés Imprimer Envoyer

Le 30 juillet

Chère Mimi,

Ma dernière missive t’a amusée et tu réclames des détails sur mon aventure corfiote. Je vais t’en donner car si la page sur le Club Med, parue récemment dans plusieurs journaux avec photos, raconte l’existence heureuse des G M en Grèce, j’ai omis, évidemment d’inclure des moments personnels.

 

Pour toi je veux bien te les conter, sous le sceau du secret. Car ils touchent au côté sentimental et n’appartiennent pas au domaine de Madame Tout le Monde.

Aucun flirt ne s’est ébauché durant la première semaine au sein de notre bande.

On avait tellement d’occupations, d’occasions de rire et de plaisanter, de se jeter à l’eau et de se sécher au soleil..

Dans le groupe, deux inséparables , Odile et Marie, à l’accent parigot impayable, vendeuses dans un Prisunic des boulevards. Aussi délurées que bien roulées, leur intellect n’était pas aussi développé et leur conversation d’une banalité renversante.

Comme Guy, qui n’était pas bête, m’avait lancé, un matin : » A moi, comte, deux mots », Odile reprit, ingénue mais assurée : Oh ! oui, c’est ce que j’ai aimé dans « le Malade Imagé » des répliques comme çà !

Et les autres de se plier de rire. Les deux copines n’ont jamais compris pourquoi. Le soir, dans la tente des « Abrutis », Guy et moi reprenions  les perles d’Odile et de Marie en singeant leur accent faubourien, leurs intonations gouailleuses et leurs réparties de cocottes mondaines.

Ce n’était pas méchant !

Je m’étais promis de me dépasser. Je me suis inscrit pour la chasse sous-marine. Oh ! attention. Il n’était pas question d’attaquer le mérou . La première fois où j’ai placé le masque sur les yeux et le tuba dans la bouche, j’ai cru exploser. J’avais l’impression d’étouffer dans ce carcan caoutchouté.

Quand j’ai enfilé les palmes, alors, là, çà é été le bouquet. Devant les filles, médusées, je marchais comme_un pachyderme qui aurait chaussé une paire de skis nordiques. Grosse rigolade.

Radar029Mais une fois dans l’eau, quelles délices ! Quel éblouissement ! J’avais déjà vu, au cinéma, des films tournés  sous l’eau. Mais ce n’était rien  en comparaison du spectacle que je découvrais derrière le masque.

Une lumière douce, feutrée baignait dans une irréelle splendeur. Des frissons d’argent  se lovaient devant moi dans une atmosphère calme, d’une limpidité extraordinaire.

C’était vraiment un autre monde, celui du silence, qui agitait mollement des algues flottantes, aux grâces infinies. Et puis des poissons, argentés, des fleurettes mauves que mon passage secouait doucement.

Rempli d’une fierté extraordinaire en remettant pied sur le rivage, j’eus garde de m’épancher devant les camarades de jeu, sachant l’insupportable poids que fait peser un vantard distillant ses exploits.

Le lendemain matin, j’ai payé le tribut au soleil . Etant resté longtemps à la surface, avec la réverbération de l’eau, j’ai pris le coup de soleil le plus accablant sur le dos et les épaules. Je bouillais littéralement. Ceux qui m’approchaient s’étonnaient, le soir, de sentir la chaleur se dégager de mon corps.

Que dire à mes cavalières lorsqu’elles posaient la main sur ma peau, en esquissant les premiers pas d’un tango. Un rugissement de lion blessé :

--  Aie ! attention à mon coup de soleil !

J’ai passé trois jours à l’infirmerie du Club à me faire poser des kilos de vaseline destinée à soulager mes brûlures.

Puis la peau s’est desquamée, en lambeaux. J’avais le dos d’un lépreux. Je n’osais même plus me mettre torse nu, encore moins de me baigner. J’étais H S comme on dit à l’armée, c’est à dire «  Hors Service ».

Ce qui n’empêche pas les sentiments. Parmi les filles, Janine accrochait mon regard. Très sérieuse – je ne veux pas douter d’elle- elle usait de manières et d’attitudes de grande courtisane.

Elle avait le chic pour se blottir , le soir, lors des danses, de se faire toute petite et toute fragile, de jouer les ingénues, de multiplier les espiègleries tout en recherchant, innocemment, le regard des autres cavaliers.

Ses clins d’œil malicieux, son effronterie, des regards appuyés, était-ce un jeu ? Les mâles, allumés, marchaient, couraient, volaient, pour tomber sur une gamine qui se refusait à toute familiarité.

Je décidai de passer à autre chose. Entraînant les uns et les autres, nous embarquâmes pour la ville de Corfou, grâce au caïque gratuit mis à disposition par le Club Med, toujours généreux.

La ville ressemble étrangement aux cités d’Afrique du Nord : des venelles étroites et sombres, des maisons qui se touchent du front, du linge suspendu entre les façades blanchies à la chaux ou d’un bleu céruléen . Très typique !

Dans ce laçis de rues, des marchandises dégringolent des recoins des magasins qui proposent tout ce qu’on peut imaginer : de la pacotille aux vêtements usagés, des épices aux poissons séchés.

Les filles ne savaient où donner de la tête : » Viens voir, ce collier ! » « Oh ! ce diadème, quelle merveille ! ». Chaînes dorées, bracelets, colliers de nacre ou d’ivoire, broches, bagues, médailles, coupe-papiers, elles tombaient faible sur tout ce qui se présentait dans un fouillis de tous les diables.

Treize heures ! L’estomac crie famine. Nous nous jetons dans une guinguette qui servait un Samos d’une douceur et d’une saveur incomparables : le petit Jésus en culotte de velours. Et comme entrée, inévitablement … de la langouste.

Il commençait à nous sortir des yeux, le crustacé. A Datia où les plus hardis des nageurs sous-marins en prenaient à la main, nous en mangions à tous les repas. Ici, on les payait le prix d’un cornet de frites.

Les citoyens corfiotes, jeunes ou d’un certain âge, nous suivaient à la trace pour ne pas dire à l’odeur. C’étaient surtout les filles qu’ils visaient, de leur œil charbonneux, les moustaches noires cirées comme des pompes neuves.

C’était la fête dans une des guinguettes du bord de mer. Les filles voulaient goûter aux charmes surannés des airs populaires locaux et des danses folkloriques. La Hierakyna venait en tête, obnubilant tout le reste, «  Vola Colomba » « Maria » et «  Una Flerta ».

Jusqu’au soir, elles sont passées de bras en bras, jusqu’à tomber de fatigue.

Curieusement, il n’y avait que les hommes qui évoluaient sur la piste en susurrant des paroles et des refrains incompréhensibles.

Les femmes et les filles grecques demeuraient à l’écart, le fichu noué sous le menton, les bras croisés sur des châles sans couleur. Elles regardaient, sans mot dire, leurs hommes, qui, seuls, avaient le droit de se divertir avec des étrangères.

Résurgence des temps passés sous la férule ottomane, les  descendants de Périclès, poursuivent les traditions musulmanes où la femme est reléguée aux tâches ménagères, à l’élevage des enfants, soumise et résignée.

Je ne vais pas poursuivre mon exposé sociologique, ma chère Mimi. J’aurais tellement d’autres choses à te raconter. Mais je crains de te lasser. Je te quitte en te disant : la suite dans la prochaine lettre.

Bises

Pierre