Marivaudages |
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30 NovembreChère amie Tu m’annonces la date de ton mariage en juillet prochain. Encore une fois félicitations. Tu m’invites également à rencontrer ton promis, en Allemagne, soit à Baden-Baden où tu résides ou à Achern, lieu de travail de ton fiancé.
Je préfère cette seconde proposition car il ne serait pas correct que je vienne habiter dans ton appartement à cette période de ta vie. Il faut respecter certaines convenances même si cela peut apparaître « vieux jeu », pour nous, représentants de la nouvelle génération. Les choses commencent à changer. Les mentalités évoluent mais elles restent cependant bien figées dans un code , à mes yeux, bien trop étroit. Pourquoi, par exemple, un fiancé ne peut résider dans la maison de sa fiancée avant la cérémonie, même s’il vit à des dizaines de kilomètres et qu’il serait préférable pour les deux de se trouver sur les lieux même du mariage ? L’histoire de la robe de mariée qui doit rester invisible aux yeux du futur époux avant le jour J me fait bien rire également. J’ai consulté un manuel de bienséance moderne qui vient de paraître à Paris-éditions. Je t’en livre quelques pages : « le mariage d’amour est surtout le mariage des jeunes ( ?). L’analyse de l’amour ne s’impose pas dans un manuel de bienséance. Des livres entiers ont été écrits sur ce sujet. Ils exposent d’innombrables théories, depuis la petite fleur bleue et le coup de foudre, jusqu’aux atomes crochus et la similitude des longueurs d’ondes émises par les intéressés. Une seule chose est certaine. C’est que l’amour existe. Ceux qui en dissertent ne l’ont pas toujours éprouvé – c’est mon cas --. Ceux qui l’éprouvent ne s’embarrassent pas de dissertations . Ils s’épousent tout simplement.. » C’est ton choix. Voilà qui est dit. Je te passe les chapitres consacrés aux préliminaires, à la cérémonie des fiançailles avec le diner protocolaire « où le fiancé doit se faire précéder d’une corbeille de fleurs blanches et doit arriver, accompagné de ses parents, avant tous les autres invités, porteur de la bague de fiançailles, choisie d’après le goût de la jeune fille. » Je ne sais pas si vous deux vont se soumettre de bon coeur toutes ces formalités. Pour moi je pense que le mariage est la combinaison d’exigences et de renoncements. Et s’il doit être réellement florissant, il faut accepter les petitesses et les défauts de chacun. Je ne voudrais pas te donner un coup au moral. Mais je vais te raconter l’histoire de Jean Pierre, un de mes amis. Il a 23 ans. C’est un beau garçon, sportif, plein de vie, qui connaît son métier. Il est chimiste. Fiancé depuis plus d’un an à une jeune fille aussi simple que tendre. Elle m’a semblé trop effacée, presque sans relief. Mais elle aimait son Jean Pierre avec passion et sans doute celui-ci devait lui trouver quelque personnalité.. Il est admis dans sa future belle-famille ( du moins sa future belle famille car on va toujours trop vite dans les affaires d’autrui) qui le prend pour le gendre idéal. Ce mariage trouvait donc les bases pour leur assurer un bonheur parfait. « Ils sont faits l’un pour l’autre » c’est ce qu’on répétait à satiété dans leur entourage. Jean Pierre comme Francine n’en avaient jamais douté. Jean Pierre ne sortait jamais sans Francine. Seulement un dimanche que Francine avait consacré à une amie, souffrante, Jean Pierre se rendit à une soirée de bienfaisance.. Là, il éprouva, peut-être pour la première fois de sa vie, un grand sentiment. Celui qui balaie tout et qui le plongea dans le plus grand désarroi.. Il n’était nullement un papillon-volage et aucune jeune femme n’avait retenu son attention depuis qu’il fréquentait Francine. Il blâmait certains de ses amis qui trouvaient un certain plaisir à jouer les jolis coeurs en flirtant avec d’autres demoiselles. Pour la plupart c’était sans conséquence, un divertissement, sans plus. La jeune fille qu’il rencontra ce soir là – personnellement je ne la connais pas – l’a, littéralement, envoûté. Elle n’a pas cherché à lui faire du charme. Il l’avait invité à danser. Elle avait accepté, sans minauderie. Elle possédait une conversation intelligente, des yeux admirables qui brillaient de plaisir au rythme de la danse. Elle savait se tenir , élégamment, toujours d’une gentillesse exquise Bref ! Depuis, Jean Pierre ne cesse de penser à elle. Il s’en veut d’être le jouet d’un destin aveugle qui va le mener où ? Il n’en sait rien mais il s’effraie à la pensée que Francine puisse, un jour, se douter, de l’effroyable tourment qui l’habite. Doit-il encore parler mariage ? Son esprit est en plein désarroi et il n’aurait jamais imaginé qu’il pût connaître semblable tumulte. Il vient de m’en parler, presque affolé, et je me sens dans l’impossibilité totale de lui donner conseil. Je ne sais pas pourquoi je t’entretiens de ces problèmes de coeur alors que tu vis des heures d’allégresse. Pardon de te donner ce souci. Je t’embrasse. Pierre
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