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Fraude au Mont Noir Imprimer Envoyer

21 mars

Ma chère Mimi

Rien de bien nouveau dans la famille. Le bébé se porte bien et sa maman attend le printemps pour le promener dans le landau qui vient d’arriver, cadeau des grands-parents.

Bonne nouvelle pour moi : je viens de recevoir le contrat d’une maison d’édition belge, de Bruges, qui édite une collection pour la jeunesse sous le vocable de « Belle Humeur ». Ils vont faire paraître à Pâques, le roman écrit dans les heures grises de l’AFP et que j’avais intitulé : « Fraude au Mont Noir ».

 

J’ai mis en scène deux jeunes garçons, Michel et Robert qui partent camper dans les Flandres, à la frontière franco-belge, comme je l’avais fait, jadis, avec mon compagnon de cyclotourisme, Pierre Deruyver.

Une nuit, ils éprouvent la plus grande frayeur de leur vie. Deux énormes chiens-bouviers passent au ras de la tente, chargés de sacoches qui leur battent les flancs. Ce sont des animaux qui transportent du tabac, de l’alcool ou de la pharmacie de Belgique en France où ces produits sont beaucoup plus chers.

La fraude a été de tout temps l’activité le plus florissante de part et d’autre des frontières. C’était à la fois une source de revenus non négligeable, mais aussi un sport. J’avais interviewé, il y a des années, un douanier qui partait à la retraite. Il habitait Bailleul et avait passé quarante ans au service des Douanes, à la limite de sa Flandre natale. Des histoires de courses-poursuite, il les racontait presque en riant car c’étaient des histoires de sa jeunesse. Mais il en avait aussi bavé du crépuscule à l’aube, épiant dans les fourrés, au bord des sentiers suivis par les fraudeurs. Il avait vécu la grande époque des « pacotilleurs », ces gens qui vivaient simplement le jour, comme travailleurs agricoles mais qui passaient leurs nuits, à jouer au gendarme et au voleur, un jeu grandeur nature qui comptait pour du vrai. En se faisant aider de chiens dressés à éviter les « gabelous ».

Ces histoires de porteurs de ballots sur les chemins de traverse m’avaient passionné. C’est pourquoi, avec un peu d’imagination, j’ai échafaudé ces chapitres dans cette lutte sournoise qui oppose les douaniers et les fraudeurs. Avec des rebondissements comme dans toute affaire policière. Je ne te les raconte pas puisque je t’enverrai le livre dès qu’il sera sorti des presses de Desclée de Brouwer.

L’éditeur a renoncé à parler de « fraude ». Il craignait la censure des autorités académiques. Il a tout simplement titré « la maison sur la colline « ce qui me parait fort banal. Mais peu importe. J’espère que ce roman tiré à 8000 exemplaires sera apprécié de mes jeunes lecteurs.

Et comme il faut faire attention aux plus infimes détails, pour ne pas mécontenter mon président-directeur général qui exige des journalistes du « Courrier Picard » une collaboration de tous les instants, j’ai pris un pseudo le roman est de Pierre Saint Denis.

Pourquoi Saint Denis ? Je n’en sais rien. Ça m’est venu comme çà d’un seul coup. Ca fait riche, évocateur d’une noblesse peut-être désargentée mais qui a de l’allure. On verra ce que çà donnera par la suite.

A propos de noblesse, j’ai été plongé dans un monde hors du commun, la semaine dernière.

Sa Très Gracieuse Majesté la reine d’Angleterre accompagnée de son époux, le prince Philip, était venue en France, pour une visite très protocolaire. Après son séjour à Paris, elle avait tenu à se rendre dans la capitale des Flandres.

Comme je connaissais bien Lille, le rédac chef m’a désigné comme envoyé spécial en compagnie d’un photographe, un joyeux drille qui s’appelait Claudel mais qui n’avait aucun lien de parenté avec l’académicien Paul, auteur du « Soulier de satin ».

Me revient une anecdote à propos de cette pièce qui était fort ennuyeuse et que François Mauriac n’avait guère appréciée. En sortant de la représentation, il avait soupiré : « Heureusement qu’il n’y avait pas la paire !! »

Dure journée pour André C et pour moi pour revenir aux dernières heures du couple royal sur le sol de France. ! A l’aéroport de Lesquin où l’avion devait se poser dans la matinée, il faisait un froid de canard. Nous étions dans le hall depuis deux heures, complètement frigorifiés.

Quand le « Vickers Viscount » ouvrit ses portes, des giboulées et des grêles s’abattirent sur le terrain. Ce fut la course pour dénicher d’immenses parapluies pour abriter SM Elizabeth II, un peu pâle – c’était le froid – mais souriante.. Impossible de prendre une belle photo dans ces conditions.

Course échevelée des voitures de presse pour suivre le cortège officiel acclamé par une petite haie de citoyens et d’enfants des écoles qui agitaient, frénétiquement, des drapeaux français et britanniques. Sans doute pour se réchauffer.

Je ne vais pas te décrire le déroulement des cérémonies, heure par heure. Je t’enverrai une coupure du journal : la « Une « fait quatre colonnes et toute la dernière page leur est consacrée. A l’Hôtel de Ville de Lille, tendu de voile suisse bleu pastel et rose bonbon, 1200 invités du monde politique, économique, culturel et social se tiennent raides comme les représentants de la colonie anglaise de la région.

La reine sourit toujours.

Elle porte une robe de faille bleu, d’un très beau bleu canard, un seyant chapeau,( toujours bleu) à plumes, à son cou cinq rang de perles et sur sa robe des brillants assemblés en feuilles.

Le prince, en uniforme de maréchal de la Royal Air Force, agite la main avec élégance. Il leur en faut du courage pour supporter les obligations du protocole des journées entières. C’est la rançon de la gloire.

Nous, les membres de la presse n’avons pas invités au déjeuner qui fut servi à la Préfecture place de la République. Un menu très simple : saumon de l’Adour, baron d’agneau de pré salé – de la Baie de Somme, ai- je précisé dans mon article – fraises à la crème le tout arrosé de Bourgogne blanc Montrachet 1953, de bordeaux Chateau-Latour 1928 ( en magnum svp) et champagne Bollinger 1949.

Des obligations peut-être mais des compensations gustatives de qualité. Tu connais les rites du « Vivat flamand » en fin de repas chez nous, dans le Nord de la France.

Le protocole anglais, très strict en la matière, ne pouvait pas permettre aux convives de saluer la petite fille de la reine Victoria sous une serviette tendue par quatre messieurs pour recevoir le flot de champagne traditionnel. C’était impensable. Sa Majesté inondée de la tête aux pieds. Dans quel état allait-elle se retrouver ?

Les gens de l’ambassade britannique firent savoir, discrètement, que, pour une fois, avec l’assentiment de la Reine, les convives du déjeuner pourraient sacrifier à cette coutume, sans enfreindre les lois sacro-saintes de l’étiquette royale.

C’est pourquoi, gravement, trois députés du Nord et le Préfet se permirent de tendre une serviette brodée aux armes des villes de Flandres et versèrent quelques gouttes du vin de Champagne, tandis que le « Choral des XXX »( qui étaient 85) entonnait le fameux couplet mi- français, mi latin. La dernière strophe « Qu’elle vive ! » fut repris en cri d’allégresse.

La Reine, parait-il, était tout sourire séduite sans doute par cette ambiance si chaleureuse des gens du Nord, bien loin de l’atmosphère glacée des cérémonies officielles.

Elle aurait ri sans aucun doute si elle avait entendu à sa sortie de la Préfecture un quidam, sans doute éméché par des libations en son honneur, hurler dans la foule : « God shave the Queen » ce qui peut se traduire par « Dieu rase la Reine ». J’en ai fait un écho. Pas sûr qu’il ait été compris.

Enfin la visite royale dans le Nord s’acheva par un saut jusqu’à Roubaix.

S M Elizabeth II ne pouvait pas reprendre le chemin de Londres sans un passage à la « Lainière », cette immense usine de peignage et de tissage de laine alimentée principalement par les moutons d’Ecosse, d’Irlande et d’Australie.

Deux charmants bambins vinrent saluer la Reine en lui offrant des fleurs. On nous avait dit qu’il s’agissait de fils d’ouvrières. J’ai su, par un syndicaliste que je connaissais, que c’étaient les propres fils du grand patron Albert-Auguste Prouvost. Sans doute la première fois de leur vie qu’ils passaient pour des rejetons de peigne-culs.

J’arrête ici en t’envoyant mes affectueuses pensées et mes souhaits de santé pendant ces prochains mois de grossesse. N’oublie pas de m’écrire.

Pierre