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Le 15 janvier

Ma chère Mimi

Je suis un peu en retard pour vous souhaiter à tous deux une bonne et heureuse année. Qu’elle vous soit douce en pensant au cadeau qui va vous arriver dans quelques mois.

 

Nous nous l’avons déjà et nous l’apprécions le jour. Pas tout à fait la nuit, car ce bébé se réveille à mon retour, vers 1 heure du matin et il faut le bercer en chantant ; « Douce nuit, tendre nuit » etc. Lika se rendort tout de suite. Moi je lis « France Soir » que les propriétaires qui vivent au rez-de-chaussée me laissent sur la première marche de l’escalier. Ils l’achètent chaque soir. En contrepartie je leur laisse la première édition du « Courrier Picard » que j’enlève des rotatives en terminant ma journée.

Journée c’est beaucoup dire car dans ce journal, original à plus d’un titre, les rédacteurs ne viennent pas travailler le matin. Sauf s’il faut partir sur un sujet brûlant. C’est le chauffeur qui vient sonner pour m’emmener fissa sur les lieux du reportage.

Ça m’est arrivé hier. Il était 11 heures. Le secrétaire de permanence venait d’apprendre qu’un employé municipal qui travaillait sur un bulldozer dans la décharge publique d’Amiens venait de découvrir un trésor.

Il ne fallait pas le louper. Les « Parisiens » se jettent sur ce genre d’événement comme « la vérole sur le bas-clergé ». Un millionnaire sur un tas d’ordures ! Quel magnifique sujet à faire rêver dans les chaumières.

Avec le photographe, piqué au passage, je me retrouve sur une montagne de détritus, de vieux papiers, de chiffons. Et le bonhomme, sur sa machine, pousse, vaille que vaille, centimètre par centimètre, cet amas dans une sorte de marais putride, en voie d’assèchement. Bravo l’hygiène publique !

Il est vêtu d’un bleu d’ouvrier, coiffé d’un béret et s’appelle Jean Marie Bellancourt. Le voilà comme on dit en termes juridiques « inventeur d’un million de francs ». Je lui demande d’arrêter cinq minutes pour me parler.

Il raconte : « Ce matin, je me suis pointé à la décharge avec ma moto comme d’habitude. Je me suis dirigé avec mon engin vers le tas de vieilleries qu’un camion avait déposé le samedi. Il y avait un paquet de vieux journaux dont des « Courrier Picard » de l’année dernière. Je suis curieux . Je descends du bull, je me baisse et en ouvrant le paquet, je découvre à l’intérieur des bons du Trésor, des titres, des billets de banque. Quelle surprise ! J’ai alerté la mairie qui a fait le décompte : il y en a pour1 million 500 000f. »

Jean Marie est un honnête homme, un vrai, un pur.

-- Attention, me dit-il, ce n’est pas à moi. Je l’ai trouvé ce trésor, d’accord ! Mais c’est à la police de faire l’enquête pour savoir qui est le véritable propriétaire. Avec les journaux, il y avait des enveloppes avec des adresses. J’ai tout remis au commissaire de police.

De toute façon j’ai fait ce que j’avais à faire, conclut M Bellancourt, philosophe. Les billets et les titres sont dans un coffre en banque. Le jour où on aura trouvé le véritable propriétaire, nous irons ensemble à la banque. Après on verra.

Il y a encore de braves gens sur la terre !

Dans ce métier on rencontre des crapules, des hommes politiques sincères et des autres qui le sont moins, des fantaisistes et des personnes attachantes. En ce moment, je passe des heures en compagnie de « cabotans » ( encore une expression picarde).

Les cabotans sont « chés tireux de ficelles ». Ils promènent un peu partout leurs marionnettes, avec le castelet, les décors en carton-pâte. Ce sont des passionnés, quasi bénévoles.

Comme je demandais à l’un d’eux pour quelle raison il consacrait toutes ses soirées et ses moments de liberté à animer ces petits pantins pour un revenu minime, il m’a répondu : « J’ai le feu sacré. Je ne peux pas vous dire, c’est comme un microbe ! »

J’ai passé des heures et des heures en compagnie des « Amis de Lafleur » pour ensuite décrire la joie et l’émerveillement des enfants devant ces petites poupées de bois animées par des fils. Leurs pirouettes pleines de vie, leurs dialogues pleins de bon sens révèlent aux spectateurs mille petits travers humains. Guignol à Lyon a traversé toutes les époques.

Ici, en Picardie, c’est pareil. Les marionnettes offrent de quoi satisfaire tous les âges et tous les milieux, depuis le gamin jusqu’aux vieux de la vieille, de l’homme de la rue au plus savant lettré.

Ces comédiens de bois surpassent les acteurs en chair et en os. Ils possèdent le privilège unique de pouvoir jouer n’importe quel rôle. Mieux, le registre limité de leurs gestes et leur masque rigide font qu’elles n’imposent pas une scène mais qu’elles l’évoquent. L’imagination des spectateurs fait le reste. C’est magique !

J’ai de la chance de faire un beau métier et de l’aimer.

Là-dessus, je te quitte, ma chère Mimi, en t’envoyant mille bises .Bonjour à ton époux

Pierre