Les trésors d’Athènes |
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14 aoûtMa chère amie, Je profite d’un court répit dans ma chronique estivale pour te conter la suite de mes découvertes de l’Antiquité. Nous ne pouvions pas vivre trois semaines, dans le royaume d’Apollon, sans visiter Athènes. C’était inscrit dans le prix du séjour. Vive le Club Med !
Nous embarquons pour le port du Pirée sur le « Miaoulis, ce brave vieux bateau qui nous avait amenés de Venise. A babord, comme à tribord, des îles et des îles, blocs de gelée violâtre qui émergent de la nappe bleue outremer sur laquelle dansent et bondissent des dauphins. Mais si le paysage est grandiose, le tangage et le roulis se concertent pour inquiéter les passagers. Dans le groupe, les traits du visage trahissent les débuts de mal de mer. J’en réchappe fort heureusement. Mais c’est de justesse. Escale à Ithaque, l’île d’Ulysse où l’attendait la fidèle et astucieuse Pénélope. Tu as sans doute quelques lumières sur l’Antiquité et la mythologie et je ne t’en dis pas plus. Après Patras et Corinthe, nous pénétrons dans ce fameux canal. Notre bateau a stoppé toutes ses machines. Il se fait tirer par un remorqueur à l’hélice moins puissante pour ne pas faire ébouler les berges d’argile. Construit en 1893 sur un peu plus de 6 km, sans écluses, il permet de couper droit sur Athènes sans faire le détour du cap de la Morée. Les berges sont très hautes et atteignent 70 mètres. On se croit tout petit dans un fossé abrupt. Très étonnant ce passage mitraillé sans arrêt par des dizaines d’appareils-photos. On retrouve le large en pénétrant dans le golfe Saronique. Quelle splendeur ! Les dentelles des montagnes dans le lointain, la brume de saphir qui monte de la mer composent un tableau impressionniste d’un merveilleux relief. Mimi si tu me fais confiance, viens faire ton voyage de noces en Grèce. Tu seras transportée d’enthousiasme et de ferveur. Mais tu fermeras les yeux en arrivant dans la rade du Pirée. Des cargos de toutes les nationalités, des cheminées d’usine, des raffineries, une eau sale, poisseuse d’huile, des docks crasseux et puants, de la fumée partout et des halètements de machines à vapeur : pitié ! C’est çà la Grèce, chantée par les poètes, la terre bénie des dieux, bucolique et agreste, charmée par le chant des sirènes. ? Celles qui nous vrillent les oreilles n’ont rien de séduisant. Haro sur l’ère industrielle qui pollue et saccage les plus beaux paysages. Mais il faut se faire une raison. On ne peut plus vivre d’amour, de nature vierge et d’eau fraîche. La rançon de l’économie . Que sera ce pays si beau quand il entrera dans les contraintes de l’Europe et de ses exigences technocratiques ?
Heureusement notre hôtel « le Panthéon », dans l’avenue Venizelos se trouve à l’écart. Tout nouvellement construit il est luxueux. -- C’est un palace, s’exclame Odile qui s’est refait un visage de star après avoir subi les affres des nausées en mer Ionnienne. Les filles ont cherché à se faire plus élégantes et arborent des tenues d’une grâce toute parisienne. Des jupes rouges à fleurs, des boléros blancs, des robes froufroutantes. Je suis étonné de leur transformation. J’ai commis la bévue la plus bête en voyant Colette chaussée de souliers roses : -- Ces ravissant souliers vont vont comme un gant. Je n’étais pas en forme. La chaleur sans doute et la fatigue. Un regard de Kalachnikoff m’a fusillé sur place. Je ne sais pas m’y prendre avec les filles. Sous des apparences de don Juan, je suis resté très enfant de chœur. Et puis je dois te l’avouer, j’ai mal suivi les explications du guide qui parlait très mal le français. Moi, toujours désireux d’enrichir mes connaissances, de me cultiver, surtout au contact de cette civilisation grecque, qui eut l’apanage de donner au monde, l’idéal du Beau, par les arts, les monuments, les sciences et la philosophie, je suis resté de marbre – c’est le cas de le dire – devant ces merveilles architecturales. Ne compte donc pas sur moi pour te décrire l’Acropole et les prestiges du Parthénon, de m’extasier face aux Propylées. Les monuments de Rome sont peut-être chargés de plus d’ornements, ceux de Babylone plus de mystérieux, ceux de Persépolis plus romantiques. Mais les trésors de l’Athènes classique avec l’Agora, le Théséion, l’Erechtéon et le théâtre de Dionysos resteront toujours inégalés pour leur sublime beauté de conception, leur perfection d’exécution rehaussés par la splendeur du cadre environnant. Bravo, Périclès , un architecte de génie 400 ans avant J .C. Le lendemain, nous avons quitté la capitale pour une excursion à te démonter la colonne vertébrale. Collines caillouteuses, massifs de rocs déchiquetés, mauves ou roses selon l’éclairage, nous partons dès 7 heures du matin pour Delphes. Quatre heures de route, si l’on veut bien parler de route, mais surtout d’un ruban de terre infâme que le chauffeur semble bien connaître puisqu’il ne ralentit pas l’allure, sûr de ses freins, de son volant, mais pas de ses amortisseurs. Ils ont rendu l’âme depuis Démosthène. Jamais je n’ai été blackboulé, secoué de la sorte, dans tous les sens, et aussi dans les airs avec une telle violence. Trous, ornières, nids de poule, rien ne nous a été épargnés. Le car soulevait des tornades de poussière effroyables. Les filles commençaient à pâlir. Ce n’était plus le mal de mer, ni des montagnes, mais celui du grand Huit. La nature devient d’une farouche sauvagerie. On se croit perdu au fin fond d’un monde ignoré des hommes et des dieux en arrivant au pied du mont Parnasse. A la halte d’Arakhova, distribution du panier-repas auquel personne n’a touché. On nous apporte du vin rouge et je suis le seul à tremper mes lèvres. Pouah ! Les gens d’ici collent leur récolte avec de la résine de pin. On croit boire de l’essence de térébenthine. Je préfère le Samos et les vins doux du Péloponnèse. Enfin, terme de notre épreuve, Delphes, 600 mètres d’altitude qui s’agrippe sur le versant d’une grande vallée romantique. L’endroit est si vaste, si impressionnant que les ruines, dans le bas, paraissent minuscules. Les Grecs d’alors savaient découvrir les endroits qui donnent à l’homme l’impression d’être un misérable insecte, à la merci du bon vouloir des dieux de l’Olympe. Voilà le temple d’Apollon où les Anciens venaient interroger la Pythie, une des jeunes filles, qui, dans un délire passager, prononçait des prédictions et des phrases incohérentes que les gens interprétaient pour connaître leur avenir. Je n’ai pas rencontré personne, ni jeune fille, ni Pythie. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Comme tous les membres du groupe, je suis vanné, anéanti à la fois par la grandeur du paysage et par les fatigues de cette épopée terrestre. Ma prochaine lettre te dira, ma chère Mimi, les derniers jours passés à l’extrémité sud de l’Attique, au pied du mont Lauriaum. J’espère ne pas t’ennuyer avec mes souvenirs de vacances. Bises. Pierre
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