Oh ! Quelle tuile |
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Le 15 maiChère Mimi, Pour une tuile, c’en est une qui me tombe, en ce moment, sur le coin de la figure. Je n’avais pas besoin de ça, à deux semaines de l’événement du siècle. Pour un ami et confrère, correspondant d’un hebdo satirique de Paris « la Presse » j’avais accepté d’écrire une série de billets qui se veulent piquants, sur la vie actuelle en province. C’était payé à la pige, comme on dit dans le métier, et comme j’ai de plus en plus besoin d’argent, ça tombait à pic.
Les derniers échos étaient consacrés aux vénérables ecclésiastiques qui ronronnent dans le quartier du Vieux Lille. J’avais intitulé çà « Les dessous de Notre Dame de la Treille ».Je rapportais tout ce que le sacristain de cette noble cathédrale ( qui est loin d’être achevée depuis le début de sa construction voilà un siècle) me racontait lors des cérémonies interminables, tous les deux réfugiés au sous-sol de la crypte. Il m’avait dit les sournoiseries de certains chanoines qui se chipaient les barrettes ou les surplis, enfermaient certains de leurs confrères dans les chapelles mitoyennes, les réflexions sarcastiques de Monseigneur Bouchendomme qui fumait sa pipe quand les homélies s’éternisaient, celles de Monseigneur Régent, ancien aumônier militaire au franc parler, qui, après une opération de la prostate, proclamait, haut et fort, « C’est tout de même idiot de souffrir à ce point pour une chose qui n’a jamais servi » Ce n’était pas méchant. Seulement des gamineries. Elles ont été tellement appréciées qu’on n’a jamais vendu autant d’exemplaires de « La Presse » autour de l’Evêché. Le secrétaire particulier du cardinal Liénart a fait son enquête et a alerté la direction de « la Croix du Nord ». Le coupable a été démasqué : c’était moi. Il fallait que je fasse des excuses ici et là, que je me confesse quasi publiquement, que je reconnaisse être un journaliste indigne, etc., etc. Je n’ai rien accepté du tout.. Aucune contrition. Je rage de voir ces saints hommes ensoutanés se dresser menaçants quand on chatouille, un peu irrévérencieusement leur respectabilité. Où va se nicher leur charité et leur humilité qui sont des vertus cardinales ? Je me fais tout petit mais je me vois sur le fil du rasoir. Catastrophe !A quinze jours du mariage, privé de travail, privé de salaire, menacé des foudres de l’excommunication, je deviens un jeune marié peu présentable. Lika ne semble pas m’en tenir rigueur. Elle a traversé d’autres épreuves dont elle ne m’a jamais parlé. Je ne lui ai jamais demandé non plus les raisons profondes de sa mélancolie. Question d’élégance et de courtoisie, n’est-ce pas ? A présent, je crois qu’elle vient, en acceptant ce mariage, de donner un sens à sa vie. Avec un jeune « tout-fou » peut-être mais qui lui apporte une certaine fantaisie à laquelle elle n’avait pas été habituée. Je dis « je crois » mais je n’en suis pas sûr car elle ne se confie pas facilement. Lorsque je lui dis « je t’aime », en cheminant à ses côtés, à la sortie de son bureau de la rue Faidherbe (elle est secrétaire dans une compagnie d’assurances) elle me fait « ooh !ooh ! » comme un chat qui ronronne après la caresse. Mais c’est tout. Je voudrais tellement que ce soit réciproque, qu’il y ait un grand élan de sa part. Cette réserve m’inquiète et je me demande parfois si je suis bien « son type d’homme » comme elle me l’avait décrit, il y a quelques années, au début de notre rencontre à la piscine des Bains Lillois. Voilà la crise de jalousie qui se profile. Tu le sais, Mimi, je suis un type un peu compliqué. Je ne possède pas la sagesse du pâtre des montagnes qui ne se pose pas de question sur les choses de la vie et se préoccupe surtout de ses brebis. Je ne pratique pas la sagesse des moines bouddhistes, ni la foi surnaturelle des religieux authentiques. Je philosophe comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, c’est à dire sans voir plus loin que le bout de mon nez. Je vis, depuis mon adolescence, l’aventure de Narcisse, racontée par le penseur Louis Lavelle. « Je te souris, dit Narcisse à l’image qu’il contemple dans l’eau, et tu me souris. Je te tends les bras et tu me tends les tiens. Je vois bien que toi aussi tu désires mon étreinte. Si je pleure de la savoir impossible ; tu pleures avec moi et les mêmes larmes qui nous unissent dans le sentiment de notre désir et de notre séparation, obscurcissent la transparence de l’eau et nous cachent tout à coup l’un à l’autre. » Assez parler de moi. J’attends ta lettre pour me remettre en place. Bises Pierre
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