L'amour toujours |
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30 OctobreMa chère Mimi D’après ta carte reçue récemment, tu nages dans le bonheur. C’est normal pour une lune de miel. Tout est douceur et découverte de l’autre. Je ne connais pas encore cet épisode délicieux. Mais je l’espère, je le pressens, je le vis à l’avance. Si ton époux le permet continue à m’écrire. Cette correspondance m’est indispensable pour mon équilibre mental, pour m’accrocher à l’existence.
J’ai l’impression d’avoir perdu mes repères lors de ce séjour en Grèce. J’ai failli m’engager pour la vie avec l’une de nos compagnes de vacances. Elle était simple, jolie mais pas coquette, ce que je lui reprochais sans jamais le lui dire. Dans tout ce qu’elle disait, elle était sage. C’était quelqu’un qui n’avait pas la tête près du bonnet. Elle possédait toutes les qualités qu’on attend d’une épouse. Pourtant je ne l’aimais pas assez pour lui dire : « On va se marier ». Depuis le temps, tu me connais assez pour savoir que je suis pas prêt pour me livrer tout entier à une femme. J’ai l’impression, confuse, de les aimer toutes. Mais je suis trop féru d’indépendance, trop avide d’imprévus, pour me laisser enfermer, pieds et poings liés, à quelqu’un, exclusivement, fût-elle la plus exquise des femmes.
C’est comme ça que je l’appelle. Je l’ai rencontrée pour la première fois, il y a trois ans, à la piscine des Bains Lillois, où je me rendais en compagnie de mon confrère et ami André B, le vendredi midi de chaque semaine. Je l’appelais « le petit phoque » car elle soufflait comme lui, (pas André, mais le phoque,) en sortant la tête de l’eau après quelques brasses coulées. Après la séance de natation, nous allions manger un jambon-frites, place de Béthune et on se quittait en se disant « A la semaine prochaine ». Elle était plus âgée que moi, de près de sept ans. De fait elle avait un caractère bien plus posé que le mien, elle portait des jugements plus mûrs que les miens. Elle savait me conseiller gentiment, moi qui jouais, en permanence, le « petit fou ».Elle savait me mettre en boîte quand l’occasion se présentait et nous ne dédaignions pas de jouer au chat et à la souris. Bref, insensiblement comme dit la chanson, j’éprouvais depuis quelque temps, un tendre sentiment pour elle alors que j’ignorais totalement ce qu’elle pouvait ressentir pour moi. Mais, tu me connais, pas question de me déclarer. Lorsque j’appris qu’elle venait d’être secouée par une terrible tempête sentimentale, que je voyais qu’elle avait peine à se remettre difficilement de ce sale coup, n’écoutant que mon cœur, je décidais de la consoler. Je découvris que je l’aimais. Ce que je lui dis, à mots couverts. Lika ne tomba dans le piège. Délicatement, elle me fit savoir qu’elle n’éprouvait pour moi, qu’un sentiment d’amitié qu’il ne fallait pas gâcher : -- Vous savez, mon petit Pierre, qu’il n’y a pas deux moyens pour gaffer en amour. Il n’y en a qu’un seul : quand le tirage est trop fort, fermez la clé et le feu s’éteindra de lui-même. C’était bien dit et je me le tins pour dit. Pendant mon séjour chez les Athéniens et les dieux grecs, je me croyais guéri. En fait je ne l’étais pas du tout. Seulement en convalescence, si l’on peut dire. J’ai retrouvé Lika en « copain-copain » tout ce mois, pour une séance de cinéma, une soirée au « Club de jazz New Orléans » et même un repas en tête à tête. Insidieusement quelque chose me disait que le vent avait tourné. Sa conversation après mes souvenirs longuement rapportés de l’île de Corfou (et qui, entre nous, devaient l’ennuyer) me laissait entendre quelque chose de plus grave que je ne percevais pas. Faut-il que je sois cruche pour demeurer insensible à son appel secret ! Mais tu sais, ma chère Mimi, chat échaudé craint l’eau froide. Je ne voulais pas encore une fois être dupe de mes sentiments. Nous marchions côte à côte dans la rue Nationale. Les gens défilaient en sens inverse sans nous heurter. Je demeurai muet. Je ne parvenais pas à trouver les paroles qu’il fallait. Pourtant il fallait les trouver ces mots qui se bousculaient dans ma tête. -- Tu te souviens de ce que je t’avais avoué, il y a bien longtemps ? -- Avoué quoi ? -- Ne fais pas l’innocente. Il s’agissait d’une crise qui me tourmentait alors. Elle s’était apaisée par la suite mais je dois te dire que tu n’as jamais cessé d’être présente dans mon esprit. Et je voudrais que tu le demeures toujours. Je regardais toujours fixement devant moi pour ne pas découvrir l’éclat de son regard. Etait-il doux, irrité, atone ? Nous marchions toujours d’un pas égal. Je me jetai à l’eau. -- C’est peut-être que tu n’y tiens peut-être pas ? -- Pourquoi dis –tu çà. Je t’ai suffisamment tendu la perche depuis ton retour du Club Med. Tu aurais dû t’en apercevoir. Je ne te décris pas la suite. J’envie ton bonheur présent et j’attends de toi l’assurance que ce dernier résiste à la précarité des sentiments. Comme le dit un spécialiste, Jacques de Bourbon-Busset : « Aimer, c’est trouver grâce à un autre, sa vérité et aider cet autre à trouver la sienne. Il n’y a pas d’amour. Il n’y a que des preuves d’amour » ; Je t’embrasse Pierre
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